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Saint-Pierre de Poitiers fut construit entre la seconde moitié du XIIe siècle (vers 1150 environ) et 1379 (date de sa consécration). La particularité de cet édifice réside dans son parti architectural singulier : il se démarque en effet des recherches septentrionales du gothique francilien pour adopter le style gothique angevin appelé Plantagenêt, style qui s’est développé en Anjou, dans le Maine et plus ponctuellement dans le Poitou entre le milieu du XIIe siècle et le XIVe siècle. Il se caractérise par des voûtes d’ogives bombées et par le renforcement des murs latéraux, notamment par le biais d’énormes contreforts à l’extérieur. La cathédrale est par ailleurs une église halle, où la voûte de la nef est quasiment égale à celle des deux collatéraux. L’édifice se termine par un chevet plat, où trois absides sont ménagées dans l’épaisseur des murs. Au cours des deux siècles de construction, les maîtres d’œuvres ont respecté le parti d’origine, ce qui confère à l’édifice une grande uniformité. En raison de son originalité, l’architecture de la cathédrale n’a pas été imitée et reste aujourd’hui isolée dans le panorama des cathédrales gothiques.
Autour de 1250-1260, le chantier reçoit sa décoration : un cycle de vitraux (18 verrières), des stalles encore conservées, trois portails sculptés dédiés au Jugement Dernier, à la Vie de la Vierge et à l’apôtre Saint Thomas, ainsi que des peintures murales architecturées et historiées. L’homogénéité de ce grand programme iconographique implique des moyens financiers conséquents : il faut y voir une commande royale, ou d’un haut dignitaire du royaume. Aujourd’hui souvent éclipsée par Notre-Dame-la-Grande et sa façade très ornée, Saint-Pierre de Poitiers retrouve sa place grâce à la découverte majeure du plus grand cycle de peintures murales du XIIIe siècle dans une cathédrale. Comme l’avait pressenti Claude Andrault-Schmitt, sa façade avait été laissée volontairement nue afin de privilégier le décor intérieur.
La découverte du décor peint
La proximité de ces figures avec celles de l’art parisien de la fin du XIIIe siècle permet de dater approximativement cet ensemble, qui succède aux vitraux de la Sainte-Chapelle et aux luxueuses Bibles moralisées de Saint Louis et de son entourage. Ce style maniéré se caractérise par des personnages allongés, et surtout une esthétique au graphisme linéaire très raffiné que l’on retrouve dans les vitraux de la cathédrale, contemporains du décor peint.
Le Couronnement de la Vierge
Les peintures murales n’ont été dégagées – pour l’instant – que dans les parties supérieures de l’élévation. Elles épousent la forme de l’architecture, entre les ogives, et sont réparties dans les voûtains. Plusieurs scènes monumentales ont été découvertes sous le badigeon, dont un Couronnement de la Vierge. Marie, trônant dans les cieux avec son fils, reçoit des mains de ce dernier une couronne. Elle est représentée dans une attitude de prière, la tête penchée, dans une posture rappelant les portails sculptés de Senlis ou de Notre-Dame de Paris. Les deux personnages sont assis sur un trône architecturé rappelant les formes contemporaines du gothique rayonnant : il pourrait s’agir d’une évocation de la Jérusalem céleste sous la forme de la cathédrale de Poitiers.
Fondé sur des textes apocryphes, le thème iconographique du Couronnement de la Vierge fut largement diffusé au XIIIe siècle par La Légende dorée de Jacques de Voragine. Il est l’apothéose du cycle marial, de la glorification de la Vierge, et l’expression du mystère qu’est l’union du Christ et de Marie. Par ailleurs, ce thème est lié au Jugement Dernier qu’il vient souvent compléter dans les programmes sculptés des cathédrales gothiques. Il est souvent précédé des épisodes de la Dormition et de l’Assomption de la Vierge : peut-être faut-il imaginer la présence de ces scènes dans les parties non dégagées de l’élévation du transept ? Encadré par les représentations du Christ Juge et du Sein d’Abraham, il fait partie d’un programme à résonance eschatologique qui fait écho à celui situé en façade.
Le Sein d’Abraham
Dans la chrétienté médiévale, Abraham figure le paradis céleste : il réunit en son sein ceux qui ont mérité la vie éternelle. Ce sein est défini plus précisément par saint Augustin puis par saint Thomas d’Aquin : il était un lieu de repos où vivaient les justes de l’Ancien Testament et depuis la révélation du Christ, il est un lieu paradisiaque. Les premières représentations iconographiques apparaissent autour de l’an mil, et connaissent un grand succès jusqu’au XIVe siècle. Ce motif est inclus très fréquemment dans les représentations du Jugement Dernier. Souvent relégué comme détail dans la composition générale, à Saint-Pierre de Poitiers il occupe une place inédite dans le programme eschatologique. Le patriarche trône en majesté, nimbé : il accueille les élus dans un linge qu’il tient entre ses mains. Cette image est l’un des principaux modes de figuration du destin paradisiaque entre le XIe et le XIVe siècle : Abraham y incarne la figure paternelle accueillant les chrétiens.
le Christ juge
Un autre voûtain est occupé par une scène extraite du Jugement Dernier : le Christ juge. Le Christ trône sur un édicule architecturé gothique évoquant la Jérusalem céleste, encadré par Marie et saint Jean représentés en intercesseurs. À leurs pieds, des anges buccinateurs annoncent le début de la résurrection des morts.
Contrairement au développement monumental de la sculpture en façade, l’accent est ici placé sur les protagonistes. La nature humaine et souffrante du Christ y est mise en avant : loin des représentations romanes qui le montrent telle une figure divine inaccessible, il dévoile ses stigmates, et sa plaie au côté. Ce type de représentation, typique de l’humanisme gothique, accentue le lien entre l’homme et Dieu à travers le Christ, et évoque sa communion universelle avec les hommes.
Caroline Blondeau-Morizot,
docteur en histoire de l’art et médiéviste, fait partie de la Commission diocésaine d’art sacré de Paris; auteur du blog onditmedievalpasmoyenageux.fr dédié à l’actualité de l’art médiéval.
Cet article a été rédigé dans le cadre du partenariat établi entre Narthex et la revue papier Le Monde de la Bible. Il a été publié dans le numéro 217 – mars 2016. Cette revue trimestrielle a confié à Narthex le soin de nourrir la rubrique « La Bible des pierres » depuis décembre 2015.
La source biblique
Le sein d’Abraham est évoqué dans la parabole du riche et de Lazare, relatée par Luc, mais il prend son ancrage dans l’Ancien Testament. Il s’agit d’une alternative dans l’iconographie médiévale, permettant de montrer une figure paternelle sans représenter directement Dieu le Père
« Un pauvre, nommé Lazare, était couché à sa porte, couvert d’ulcères et désireux de se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; et même, les chiens venaient lécher ses ulcères. Or il arriva que le pauvre mourut, et il fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche aussi mourut, et on lui donna la sépulture.
Dans l’enfer, il leva les yeux, en proie aux tourments, et il aperçut de loin Abraham, et Lazare dans son sein. Et il s’écria : » Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare pour qu’il trempe dans l’eau le bout de son doigt et me rafraîchisse la langue, car je souffre dans cette flamme. » Abraham dit : » Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et pareillement Lazare ses maux. Maintenant il est consolé ici, et toi tu souffres ».
Luc, 16, 20-25.
Situation géographique de la cathédrale
Place de la Cathédrale, 86000 Poitiers 05 49 41 23 76
Saint-Pierre de Poitiers est bâtie non loin de la cathédrale primitive érigée sous saint Hilaire, dans le centre historique de la ville, près de l’ancienne enceinte gallo-romaine et de l’église Sainte-Radegonde. Sa construction bénéficia des largesses de la duchesse Aliénor d’Aquitaine et de son mari Henri II Plantagenêt : leur participation est encore perceptible dans le vitrail de la Crucifixion où ils sont représentés en donateurs. La cathédrale est exceptionnelle par ses dimensions : 100 mètres de long, 50 mètres de large au niveau du transept, 30 mètres de hauteur sous la nef. Siège du diocèse, elle a été élevée au rang de basilique mineure depuis 1912.
A lire
La cathédrale Saint-Pierre de Poitiers. Enquêtes croisées
Claude Andrault-Schmitt (dir.), Enquêtes croisées,
Geste éditions, 2013