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Une église du XXe siècle érigée en périphérie
Son campanile sans fin s’élance dans le ciel du nord parisien et, la nuit, il s’illumine tel un phare qui rayonne sur l’immensité de la ville. Construite à partir de 1935 sur l’espace vacant des anciennes fortifications de l’enceinte de Thiers – qui deviendront les boulevards des Maréchaux –, l’église Sainte-Odile émerge dans un quartier en transformation, où seront également construites les habitations à bon marché (HBM) de la loi Loucheur (1928) pour faire face à la demande pressante de logements. L’édification de Sainte-Odile, qui durera 11 ans, en raison du contexte de la guerre, s’inscrit sur une parcelle asymétrique près de la porte de Champerret, à la hauteur du bastion 48 de l’enceinte de Thiers, entre le boulevard Stéphane Mallarmé et le boulevard de la Somme.
Un peu d’histoire…
Construite ex nihilo de 1935 à 1946, cette église a été souhaitée par le cardinal Verdier, archevêque de Paris, et Mgr Edmond Loutil, dit Pierre l’Ermite (1863-1959), écrivain et curé de Saint-François-de-Sales (17e arrondissement) pour rendre hommage à sainte Odile (vers 660-720), patronne de l’Alsace et protectrice des aveugles. Mgr Loutil n’avait pas oublié les paroles de sa mère, alsacienne, qui lui avait demandé « d’oeuvrer pour l’Alsace, région qui avait particulièrement souffert », en édifiant un sanctuaire à la mémoire des Alsaciens. N’ayant aucun subside, Mgr Loutil fait appel à la générosité des donateurs pour mener à bien ce chantier considérable, confié à un jeune architecte, Jacques Barge. Le premier coup de pioche est donné le 24 mars 1935. Début 1936, l’église basse et le choeur sont achevés, et les trois coupoles en béton armé, en avril 1937. L’histoire de Sainte-Odile commence avec une exposition d’art sacré dans la crypte dès juillet 1937, et la visite du cardinal Pacelli, futur pape Pie XII. En 1938, pour ses noces d’or sacerdotales, Mgr Loutil se voit offrir par ses paroissiens le parement d’autel et le tabernacle. Malgré la guerre et l’interruption des travaux, l’aventure continue avec l’achèvement du clocher en 1940 et la sculpture du porche. Bénie en 1946, Sainte-Odile devient paroisse en 1953 mais il faudra attendre le 18 novembre 1956 pour la dédicace de l’église. Un nouveau baptistère sculpté en grès et une statue de sainte Odile de Gérard Ambroselli sont mis en place en 1985. Creuset d’innovation en matière d’art sacré, Sainte-Odile est emblématique de l’inventivité et de la modernité des années trente, qui s’est exprimée dans les domaines les plus variés : architecture, sculpture, vitrail, émail, orfèvrerie, textile, ferronnerie…
Le style architectural
Tradition et modernité, telle est l’alliance atypique et audacieuse de Sainte-Odile, qui associe sans rupture une structure en béton avec un style byzantin. L’architecte Jacques Barge n’a que 31 ans lorsqu’il est chargé de ce projet en 1935, qui s’inspire des volumes de la basilique Sainte-Sophie de Constantinople, mais également de l’art roman qui le passionne, avec les trois coupoles qui se succèdent dans la nef, représentation de la Trinité. Rien n’est laissé au hasard dans l’édifice qui allie le grès rose d’Alsace au béton armé, qui mesure 72 m de long, nombre qui se fait l’écho des 72 disciples envoyés par le Christ. En symétrie, l’église Sainte Odile s’élance à 72 m avec le plus haut clocher de Paris, doté de 23 cloches de la fonderie Paccard et d’une volée de trois grosses cloches (mises à l’abri près de Chartres pendant la guerre), qui a la particularité d’être le seul dans la capitale à être « sonné à poings manuels ».
Les verrières de François Décorchemont
Inondant de couleurs et de lumière l’espace par ailleurs très sobre de l’église Sainte-Odile, les vitraux des trois grandes verrières de 300 m² ainsi que des petites baies du choeur – symbolisant le bleu de la nuit des Vosges – sont l’oeuvre du maître verrier François Décorchemont (1880-1971). Réalisés entre 1935 et 1937, les 210 panneaux de vitraux furent entièrement déposés et mis à l’abri en 1939, ce qui a permis de préserver l’oeuvre magistrale de Décorchemont.
Ce travail de titan a été élaboré avec une technique spécifique à l’artiste, à partir d’une pâte de verre moulée, obtenue avec un « groisil » de cristaux concassés, assemblée au ciment. Les nuances des couleurs extrêmement subtiles et éclatantes sont magnifiées par une ultime cuisson au cristal.
Les trois immenses verrières situées côté est proposent une lecture chatoyante en images de l’évangélisation de la France à travers la vie de ses grands saints. Au centre, la verrière de sainte Odile évoque les épisodes de sa vie avec en contrepoint la présence d’une frise représentant les habitants du quartier, en habits des années trente et parfois équipés de lunettes… Tout en bas à droite, on peut voir le cardinal Verdier, suivi de Mgr Loutil, portant la maquette de l’église, auprès de l’architecte Jacques Barge. Et sous l’effigie de sainte Odile, Décorchemont apparaît en mendiant aveugle. La verrière de gauche est placée sous la protection de l’archange saint Raphaël, et celle de droite, de l’archange saint Michel (ci-dessus). L’iconographie est riche, évoquant dans ces deux verrières les évènements de la vie des grands saints évangélisateurs de la France et des saintes martyres.
Le retable en émaux de Robert Barriot
Innombrables sont les merveilles que recèle l’église Sainte-Odile sous son apparente sobriété. L’ensemble est le résultat d’une collaboration unique et transversale de plus d’une vingtaine d’artistes et d’artisans du XXe siècle. Unique au monde, le retable qui orne le choeur est un chef-d’oeuvre de Robert Barriot (1898-1970), une prouesse absolue par sa taille mais aussi par sa technique qui a nécessité un an de repoussage du cuivre et quarante-neuf cuissons à 1 000°… Cherchant à retrouver une technique d’émaillage médiéval, il obtient un rouge de cuivre et met au point une véritable alchimie.
Installant un immense four spécial dans la crypte, il réalise les sept panneaux de plus de 3 m représentant les sept Églises de l’Apocalypse et les vingt-quatre vieillards autour de Dieu le Père. Au centre, le somptueux tabernacle réalisé et offert par le joaillier Mellerio représente le visage du Christ, devant l’autel mordoré en dalles de verre éclatées au marteau du mosaïste Auguste Labouret, orné de deux paons, symbole d’immortalité dans l’iconographie paléochrétienne.
Admirablement mis en valeur par un véritable « chemin de lumière », les chapiteaux qui longent la partie droite de la nef sont l’oeuvre d’Anne-Marie Roux-Colas (1898-1993), sculptrice au style sensible, moderne et épuré. Sainte-Odile est le lieu où est réuni le plus grand nombre d’oeuvres de cette artiste : le vaste porche sculpté, les chapiteaux de la nef, les belles statues hiératiques : sainte Thérèse, la Vierge à l’Enfant… Les chapiteaux des arcades ont été réalisés très tôt, en 1936, avec une très grande économie de moyens. Ils sont le résultat d’un moulage en ciment de cinq scènes qui se succèdent, intégrées dans le grès rose alsacien de Saverne (le même que celui de la cathédrale de Strasbourg), en dialogue avec les motifs des briques. On y découvre d’humbles scènes du pèlerinage alsacien : procession de fidèles, d’aveugles, d’estropiés, d’enfants…
L’actualité de l’édifice
L’ouverture du grand jubilé de sainte Odile en 2020 est le point de départ de cet évènement majeur qui dure une année, du 13 décembre 2020 au 13 décembre 2021, en lien avec le sanctuaire du mont Sainte- Odile, haut lieu de prière et de pèlerinage en Alsace. Prévu initialement du 5 juillet 2020 (sainte Odile d’été) au 13 décembre 2020 (sainte Odile d’hiver) et décalé en raison de la crise sanitaire actuelle, le grand jubilé célèbre le 1300e anniversaire du rappel à Dieu de la sainte patronne de l’Alsace, Odile de Hohenbourg (vers 660-720). Inscrite en 2001 à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques, l’église parisienne Sainte Odile a ensuite bénéficié d’une importante rénovation en 2006 (le choeur) et 2008 avec notamment le ravalement du clocher, des façades et des trois dômes, en raison de la dégradation du béton. Plus récemment, l’acoustique de l’église a été l’objet d’une optimisation, véritable défi relevé avec succès dans ce vaste édifice. Actuellement, l’illumination du choeur, et en particulier du retable en émaux sur cuivre de François Barriot, a été totalement repensée, avec des éclairages de type muséal, pour une mise en valeur de qualité. Le père Stéphane Biaggi, curé de Sainte-Odile, a ainsi fait appel à des professionnels des musées, en collaboration avec le fils de l’artiste Robert Barriot.
La Source
Voici qu’un trône était là dans le ciel, et sur le Trône siégeait quelqu’un. Celui qui siège a l’aspect d’une pierre de jaspe ou de cornaline ; il y a, tout autour du Trône, un halo de lumière, avec des reflets d’émeraude.
Tout autour de ce Trône, vingt-quatre trônes, où siègent vingt-quatre Anciens portant des vêtements blancs et, sur leurs têtes, des couronnes d’or. Et du Trône sortent des éclairs, des fracas, des coups de tonnerre, et sept torches enflammées brûlent devant le Trône : ce sont les sept esprits de Dieu.
Devant le Trône, il y a comme une mer, aussi transparente que du cristal. Au milieu, autour du Trône, quatre Vivants, ayant des yeux innombrables en avant et en arrière. Le premier Vivant ressemble à un lion, le deuxième Vivant ressemble à un jeune taureau, le troisième Vivant a comme un visage d’homme, le quatrième Vivant ressemble à un aigle en plein vol. Les quatre Vivants ont chacun six ailes, avec des yeux innombrables tout autour et au-dedans. Jour et nuit, ils ne cessent de dire : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur Dieu, le Souverain de l’univers, Celui qui était, qui est et qui vient. »
Apocalypse 4,2-8
Valérie de Maulmin
Pour aller plus loin
Église Saint-Odile, 2, avenue Stéphane Mallarmé, 75017 Paris
Tél : 01 42 27 18 37
Site internet de Sainte-Odile : www.sainteodile.fr
À lire : Église Sainte-Odile, Histoire Art Spiritualité, publié par la paroisse Sainte-Odile, coordination Mgr Claude Rechain, 2006, 127 p, 22 e (en vente à l’accueil de l’église).
A visionner, un remarquable documentaire sur l’église Sainte-Odile :
Cet article a été rédigé dans le cadre du partenariat établi entre Narthex et la revue papier Le Monde de la Bible. Il a été publié dans le numéro 236 – mars-mai 2021. Cette revue trimestrielle a confié à Narthex le soin de nourrir la rubrique « La Bible des pierres » depuis décembre 2015. → Retrouvez tous les articles issus de cette collaboration.