A une période où les maîtres coloristes fleurissaient à Paris, Ricardon (1924-), comme il le dit lui-même, veut échapper à l’innombrable des couleurs. En 1947, c’est le début d’une histoire d’amour avec le blanc. C’est sa première règle.
Chez Ricardon le blanc possède des caractéristiques à la fois matérielles et spirituelles, mesures « du silence, de la contrainte, de la spiritualisation à l’énergie, à l’émotion agitée, à une forte tension interne ». Selon Lorenz Dittman, les affinités de Ricardon avec Mondrian et Malévitch sont reconnaissables dans l’organisation des tableaux et les attitudes spirituelles des peintres. Il conclut que si une synthèse des systèmes de Mondrian et Malévitch est possible, elle est réalisée dans le travail de Ricardon.
Ricardon fait une seconde « découverte », qui suit celle du besoin du blanc : il arrive à définir une structure formelle, construction de base pour ses toiles. C’est un schéma, ou comme dit le peintre, un « idéogramme » qui servira de point de départ. C’est sa deuxième règle. L’idéogramme de Ricardon est un visage : un rectangle vertical divisé en trois compartiments horizontaux de hauteur égale, dont le plus élevé est ensuite divisé en deux compartiments par une ligne verticale au milieu.
A travers ses deux règles, le blanc et l’idéogramme, Ricardon devient libre, comme les religieux qui organisent leur vie pour éliminer toutes distractions. « L’essentiel pour moi aura été le blanc-matériau, ensuite le visage, son ordre, ses dimensions possibles, son identité », confie Ricardon. C’est l’identité de l’âme qu’il faut trouver, et ce sont ses recherches qu’il nous montre.
Réalisés entre 1991 et 1994, la série de 47 baies pour l’abbaye cistercienne d’Acey, dans le Jura, fait écho à son travail de peintre : pour Ricardon tout est une question d’équilibre, de règles. Il trouve une solution pour garder ses épaisseurs : sur de grandes baies, chacune composée d’une seule plaque de verre, l’effet est obtenu par des combinaisons de grisaille, d’émail, et de verre dépoli. La lumière laisse apparaître les couches connues du peintre.
Fidèle aux souhaits des moines (pas de figure, pas de couleur, chaque vitrail unique, une visibilité de l’extérieur), sans compromettre quoi que ce soit de son travail, il présente la mise en scène d’une quête spirituelle. En entrant dans le narthex, les baies sont animées par des dessins agités et complexes puis en passant dans le sanctuaire et en allant vers le chœur, les choses se simplifient pour arriver, au-dessus de l’autel, à ce que Ricardon nomme « rien ».
Dans le chœur se trouvent trois verrières. En bas à gauche, la pierre levée. A droite, la verrière entièrement remplie de blanc, avec une ligne verticale qui la traverse sur son côté droit, l’ouverture obligée vers l’extérieur, une autre lumière. Au-dessus et entre les deux se trouve un simple rectangle blanc, qui serait donc cette perfection et cette paix – cherchées et espérées- la quête spirituelle. Il est visible et invisible à la fois ; mais dont on sent la présence. Trinité rendue par des signes ? Considérée dans le contexte de l’œuvre entière de Ricardon, de ses visages-signes qu’il explore depuis des décennies en solitaire, cette hypothèse est tout-à-fait plausible.
Textes extraits de « La règle de Jean Ricardon » par Inge Linder-Gaillard, dans le dossier de presse de l’exposition « Jean Ricardon. Traits, portraits, visages et figures. 1950-2000 », du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, 19/05-03/09 2001.
En savoir plus sur les vitraux de l’Abbaye d’Acey par Jean Ricardon ouvrage: Ricardon. Les verrières d’Acey, photographie de Claude Huyghens avec des textes de Germain Viatte, de Michel Seuphor et du maître-verrier Pierre-Alain Parot, publié en 1999 aux éditions Néo.