Sur cette stèle provenant de Sohag (Egypte), datée du Ve siècle, une figure est esquissée sous une arche, dans la pierre altérée par le temps. Présenté de face, un homme au crâne dégarni et à la barbe en pointe, mince, certainement âgé, s’affirme en position frontale. Vêtu d’un manteau et d’une ceinture, il porte une mélote (peau de brebis avec sa laine), apparaissant sur la bandoulière. De sa main droite, il porte un long bâton de voyageur. Dans la partie basse, l’inscription « Apa Shénouté » apparaît en lettres coptes : il s’agit ici de Shénouté (Shenouda en arabe) d’Atripe, abbé copte des IV-Ve siècles. Issue des collections de sculptures du musée d’Art byzantin de Berlin, la stèle d’Apa Shénouté évoque des caractéristiques fondatrices de l’Eglise Copte.
Le développement des monachismes : vers une vie d’ascèse
A la mort de son père, Shénouté rejoint le village de son oncle, Apa Pjol, fondateur du Monastère Blanc d’Atripe (Sohag). Il en deviendra le chef en 385, connu pour être un réformateur extrême du cénobitisme – forme de vie monastique en communauté. Homme au caractère passionné et violent, il dirigea ce monastère pendant près de 80 ans (selon l’hagiographie il aurait vécu jusqu’à l’âge canonique de 118 ans !), gérant ainsi 2200 moines et 1800 nones. Il y établit des règles monastiques strictes : il demandait que les membres de sa communauté signent une promesse d’obéissance absolue, et était désireux de punir les désobéissants !
Rappelons que le modèle de la vie monastique est né au IIIe siècle, dans le désert égyptien, sous l’influence des saints Antoine et Pacôme. Rapidement, ce modèle se diffuse en Palestine, en Syrie et en Mésopotamie. Hommes et femmes vivent retirés du monde pour consacrer leur vie à la prière et à l’ascèse, participant dès lors au maillage dense d’une nouveau monde christianisé.
Le temps de la théologie
Le développement des branches orientales du Christianisme est aussi marqué par la formation et les luttes entres les dogmes. Renommé pour sa lutte inlassable contre le paganisme et les hérésies, Apa Shénouté accompagna le patriarche Cyrille d’Alexandrie au premier Concile d’Ephèse convoqué par l’empereur Constantinople Théodose II en 431. Si Nestorius, patriarche de Constantinople souhaitait y affirmer la Vierge Marie comme Christotokos (Mère du Christ), c’est la formule Theotokos (Mère de Dieu) qui fut alors adopté. Ce concile affirma la nature humaine et céleste du Christ, et le nestorianisme, branche reconnue du christianisme, fut alors condamné comme hérésie.
La mise en valeur du copte
A une époque où l’influence de Byzance pèse sur l’Egypte, Shénouté produit des œuvres littéraires pour l’Eglise écrite en copte, comprenant 25 000 folios, dont seuls 1870 ont survécu ! L’idée de produire des textes en copte au lieu du grec n’est pas de son fait, mais il enclencha un mouvement de promotion de cette langue. Vénéré comme un saint, il bénéficia du titre honorifique de Père de l’Eglise Copte. A son époque, l’Eglise d’Egypte est à l’apogée de son pouvoir, mais il vécut assez longtemps pour voir les débuts d’une scission de l’Eglise universelle. C’est au Concile de Chalcédoine en 451 qu’apparu la séparation entre l’Eglise orthodoxe copte et l’Eglise grecque-orthodoxe d’Alexandrie.
La figure d’Apa Shénouté permet d’appréhender la complexité des différents courants chrétiens qui naissent en Orient. Eglises syriaque, arménienne, copte, melkite ou encore maronite…toutes racontent des enjeux culturels, théologiques, historiques qui font la richesse de l’Orient et constituent aujourd’hui un patrimoine encore vivant.
– Olivia Guiragossian
Catalogue
Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire, sous la direction de Raphaëlle Ziadé. Co-édition Gallimard et Institut du Monde Arabe, paru en octobre 2017, 208 pages. |
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