L’iconographie promue par le pharaon Akhénaton, au 14e s. av. J.-C., insiste sur l’unicité du Globe solaire Aton qui, du bout de ses rayons terminés par de petites mains, prodigue la croix de vie aux narines de pharaon. On ne connaît pas très bien l’origine de ce signe. Beaucoup de guides prétendent que son tracé représente schématiquement le Nil s’épanouissant en Delta avant de se jeter dans la Méditerranée. Une hypothèse plus convaincante y voit le dessin de courroies de sandale : vivre, c’est bouger, et la croix ânkh renvoyant à la sandale serait une métaphore pour la marche, le mouvement, donc la vie.
Quoi qu’il en soit, ce symbole a eu une destinée peu commune lorsque l’Égypte est devenue chrétienne. L’auteur ecclésiastique Sozomène († vers 450) rapporte que quand l’évêque Théophile d’Alexandrie détruisit en 391 le grand temple du dieu Sérapis afin d’exalter la victoire du christianisme sur le paganisme, quelques murs subsistèrent sur lesquels étaient représentée la croix ânkh. Les chrétiens y virent un signe : au fond, cette croix qui traduisait la vie pour leurs ancêtres ne ressemblait-elle pas à la croix du Christ, instrument du triomphe de la vie sur la mort ? Il y avait là une analogie que les croix ansées ayant échappé comme par miracle à la ruine du Sérapeum invitaient à exploiter.
C’est ainsi que les coptes, chrétiens d’Égypte, adoptèrent la croix pharaonique comme croix chrétienne. Rare exemple de transmutation d’un symbole d’une religion dans une autre. D’une certaine manière, l’Église d’Égypte assumait par là l’idée séduisante que Dieu peut avoir communiqué aux hommes des bribes de la Révélation avant la venue du Fils en ce monde. Mystérieusement, le peuple de pharaon savait que la croix était source de vie. Dans les premiers siècles chrétiens d’Égypte, la croix ansée fut souvent représentée sur des tissus ou des stèles funéraires, voisinant à l’occasion avec d’autres formes de croix plus répandues dans le reste du monde chrétien. Mais après la conquête arabe, au 7e siècle, son usage disparut progressivement.
Aujourd’hui, seuls les coptes férus d’antiquité pharaonique recourent encore au symbole de la croix ansée. Dans l’usage courant, les croix que portent les chrétiens d’Égypte ou dont ils se tatouent ont une grande variété de formes, mais bien différentes de la croix ânkh. Très populaire est la croix « monastique » tressée de cuir rouge et noir, dont les quatre branches se terminent chacune par trois cercles, de façon à ce que l’ensemble symbolise les douze apôtres entourant le Christ.
Christian Cannuyer
Faculté de Théologie catholique de Lille
Président de la Société Belge d’Études Orientales (www.orientalists.be)
Directeur du Bulletin Solidarité-Orient Werk-voor-het-Oosten (www.orient-oosten.org)
Directeur de la Collection « Fils d’Abraham » (Brepols)
Secrétaire Général du Cercle Royal d’Histoire et d’Archéologie d’Ath