Le mot « Sublime » utilisé par le philosophe Edmund Burke cristallisait ce qu’il appelait la « passion mêlée de terreur et de surprise » pour les débordements du monde. La nature indomptable que Victor Hugo appelait « nature trop loin ». La nature idéalisée, que l’homme tente de maîtriser mais qui reprend ses droit ; celle irrémédiablement touchée par notre passage ; celle réenchantée par l’éveil des consciences ; celle avec qui on renoue par la poésie des interventions artistiques.
Imaginer les pires lendemains possibles me procure de grandes joies sur le plan artistique. Les ténèbres du futur éclairent mon présent, et la prescience d’une fin à venir est garante de mon bonheur de vivre aujourd’hui. » Hiroshi Sugimoto, 2009
La scénographie s’ouvre sur une topographie des paysages terribles où se manifeste la peur mêlée de vertige : océans démontés, chutes d’eau, gouffres, altitudes extrêmes ou profondeurs abyssales. Les thèses de la fin du monde qui voient dans les monts et les côtes déchiquetées les vestiges du déluge sont représentées par Poussin ou Turner dans des scènes où le sublime est à son paroxysme. Au XVIIIe siècle, la genèse du monde, n’est plus de nature divine mais géologique ; on cherche à lire dans les origines de la terre le secret de la fin du monde. Sculptés par l’action des éléments, les curiosités et monuments naturels sont pour les explorateurs, scientifiques et artistes des monstruosités inspirantes.
La menace des éléments devient un objet de délectation aussi hypnotique que morbide. Car malgré les thèses scientifiques sur le début et la fin du monde, la croyance et le mythe continuent d’alimenter un imaginaire littéraire et artistique. Ce jeu de la terreur et de la délectation a engendré un riche répertoire d’images qui trouvent leur prolongement contemporain dans les différentes formes de création, performatives ou visuelles.
L’imagination créative ou la sensibilité artistique peuvent être l’un de nos moyens communs
élémentaires d’auto-régulation, qui pourrait nous aider à repérer et rejeter ce qui est toxique
dans nos vies. » György Kepes
A partir des années 1970, des artistes commencent à documenter l’impact de l’activité industrielle sur la nature et la nouvelle prise de conscience : l’homme réalise qu’il est à l’origine de catastrophes « naturelles » qu’ils croyaient subir. La pollution les tsunamis ou les canicules sont à présent imputables à des causes connues dont les artistes rendent témoignage.
Une confusion subsiste pourtant dans la contemplation impuissante de ces chamboulements climatiques et de leurs territoires traumatiques : trompeuse, leur beauté reste parfois séduisante… Naissent alors des alternatives concrètes pour tâcher de stopper les dégradations en cours, de conserver et de restaurer le patrimoine restant. Des artistes proches du land art investissent par exemple d’anciennes mines, tantôt pour les requalifier, tantôt pour les sanctuariser. Certains proposent des solutions de développement durable, de dépollution ou de reforestation, d’autres imaginent des moyens de survie. « La régulation environnementale à une échelle globale est maintenant nécessaire pour survivre.
Novalis, poète et philosophe exprimait au 18e siècle que « notre corps fait partie du monde. Mieux, il en est un membre à la fois autonome et analogue à l’univers. ». Au XIXe, la peinture de Caspar Friedrich reprend le motif du spectateur absorbé dans la contemplation de paysages grandioses. Après l’interventionnisme musclé du Land art américain, l’expérience de la nature se fait plus existentielle et subjective, l’osmose avec la nature se fait avec humilité et ascèse comme dans le discret Land art anglais. Médiateurs ou conciliateurs, certains artistes réparent, soignent et pansent la terre, avec humour parfois. Réanchanter la nature consisterait moins à la dissocier de soi qu’à s’y identifier et s’y fondre.
© The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC Courtesy Galerie Lelong, New York.
Dans ce voyage oscillant entre le XVIIIe et le XXIe siècle, les interrogations esthétiques croisent les positions morales et les débats écologiques actuels. Ainsi les artistes sont les petites lumières perceptibles par ceux qui veulent bien leur prêter attention ; éclairant l’histoire tumultueuse d’une passion ravageuse entre la nature et l’espèce qui l’occupe…
Informations pratiques
Sublime. Les tremblements du monde
Jusqu’au 5 septembre 2016 au Centre Pompidou Metz
Horaires et tarifs : www.centrepompidou-metz.fr/horaires
En savoir plus sur l’exposition : www.centrepompidou-metz.fr/sublime-les-tremblements-du-monde