Odilon Redon, l’artiste qui « épousa la couleur »

Cent ans après la mort d’Odilon Redon (1840-1916), l’Abbaye de Fontfroide (Narbonne) met à l’honneur celui qui réalisa en 1910 et 1911 un important décor pour sa bibliothèque à la demande de Gustave Fayet propriétaire des lieux. Jusqu’au 31 octobre 2016 cette bibliothèque se visite, tandis que les chapelles de l’église accueillent une trentaine de reproductions d’œuvres de la collection Fayet accompagnées de textes explicatifs sur Redon, Fayet et les liens qui les unissaient. Mais la commémoration de la mort d’Odilon Redon est surtout l’occasion de redécouvrir un artiste indépendant à l’œuvre multiple, reconnu par ses pairs comme un poète et un maître de la couleur. Tour à tour dessinateur, peintre, lithographe, décorateur et aussi musicien et écrivain, Odilon Redon revendiqua la fin de la hiérarchie entre les arts et participa à l’incroyable vitalité artistique du début du XXe siècle.
Publié le 14 juin 2016

LA NUIT, ODILON REDON, Dans la BIBLIOTHÈQUE DE L’ABBAYE DE FONTFROIDE, 1910-1911

Redon se lassa bientôt de cette sorte d’enfer spiralant et noir où il s’était enfermé ;  il éprouva le besoin de la lumière et monta vers la couleur comme vers un paradis. »*

Lorsqu’Odilon Redon commence à être connu dans les années 1890 d’un petit cercle d’amateurs, l’impressionnisme n’est plus un mouvement d’avant-garde et le symbolisme s’impose en Europe. Il recherche, tout au long de sa carrière à substituer à la réalité, le rêve de la réalité ; dans une œuvre emplie d’imaginaire, composée d’une iconographique à la limite du fantastique.

Ses premières œuvres sont teintées d’une philosophie pessimiste représentative d’un symbolisme qu’il côtoie à Paris, notamment auprès de Mallarmé. Pour explorer les mécanismes de la pensée, empreinte de l’étrange, du rêve et de la musique, et exprimer l’aspect sombre et ambivalent de l’âme humaine, Odilon Redon ignore la couleur. Il met à l’honneur le fusain, dont les tons varient du brun foncé au noir très profond, et pérennise ces dessins par la lithographie. Dans ces Noirs, les effets de clair-obscur ou d’éclairages diffus gagnent en intensité et en présence.

L’atmosphère méditative à la Rembrandt des premiers dessins fait place à une ambiance étrange, parfois même angoissante, écho, dit-il, d’une réalité intérieure : « L’artiste se doit d’avoir les yeux ouverts sur les deux mondes de la vie (intérieure et extérieure), sur deux réalités qu’il est impossible de séparer sans amoindrir notre art et le priver de ce qu’il peut donner de noble et de suprême. »

A partir de 1890, Odilon Redon se tourne vers le pastel et la peinture ; il s’affiche coloriste et les Noirs disparaissent peu à peu. « J’ai épousé la couleur », écrit-il. Ce changement se retrouve aussi dans les thèmes qu’il traite et qui transcrivent une joie de plus en plus intense : la vie et la lumière triomphent de l’ombre dans ses portraits et ses évocations de la nature. Son œuvre se fait lyrique : si les peintures montrent toujours quelques végétaux fidèlement observés et rendus, elles reflètent surtout la verve de l’imaginaire de l’artiste. Il souhaite que l’on comprenne son amour pour « le soleil, les fleurs, et toutes les splendeurs du monde externe […] Redon se lassa bientôt de cette sorte d’enfer spiralant et noir où il s’était enfermé » ; « il éprouva le besoin de la lumière et monta vers la couleur comme vers un paradis. »*

portrait d’Yseult Fayet, Odilon Redon, 1908

Le plaisir de travailler la couleur conduit Redon à aborder le genre décoratif. Il marque à la fois l’aboutissement, ou l’apothéose, de sa passion pour la couleur et la libération totale de son art. Admirateur de Puvis de Chavannes, Odilon Redon est aussi très proche des jeunes peintres nabis pour lesquels l’art doit entrer dans la vie quotidienne. Tous se retrouvent d’ailleurs pour dénoncer la hiérarchie établie entre tableau de chevalet et peinture décorative et militer pour un art dit total. Aussi, à plus de soixante ans, Redon se lance dans le grand format et la peinture décorative.

Le jour, ODILON REDON, BIBLIOTHÈQUE DE L’ABBAYE DE FONTFROIDE, 1910-1911

Les fresques de la bibliothèque, ancien dortoir des moines de l’abbaye de Fontfroide, couronnent le parcours du peintre décorateur. Elles lui sont commandées par ses amis et mécènes Geneviève et Gustave Fayet, propriétaire des lieux.  Le couple, qui acquière l’abbaye en ruine en 1908, met sa fortune au service de l’art, soutient des artistes comme Van Gogh, Gauguin ou Cézanne, et fait de Fontfroide un lieu de rencontre et de création. Les Fayet demandent à Redon de décorer la grande pièce carrée de près de dix mètres de côté. Deux grands panneaux de 6,5 mètres de large et 2 mètres de haut, divisés en trois parties se font face sur les murs latéraux, tandis qu’au-dessus de la porte est placé un panneau d’un mètre de large.

La Nuit, ODILON REDON, BIBLIOTHÈQUE DE L’ABBAYE DE FONTFROIDE, 1910-1911

On ne peut m’enlever le mérite de donner l’illusion de la vie à mes créations les plus irréelles. Toute mon originalité consiste donc à faire vivre humainement des êtres invraissemblables selon les lois du vraissemblables, en mettant, autant que possible, la logique du visible au service de l’invisible […] » Odilon Redon, Confidences d’artistes, 1894

Pour cet espace dédié au livre et à la connaissance, Redon crée un cycle en deux compositions : La Nuit – Le Jour. Les ténèbres de La Nuit entourent des personnages déambulant en silence au milieu de végétaux et de papillons fabuleux. Très tôt formé à la musique, Odilon Redon est nourri des chants sacrés de son adolescence qui lui révèlent « un absolu réel, le contact même de l’au-delà ». Dans La Nuit, il évoque le visage de Robert Schumann, idole de jeunesse, de même que, sous forme de feux follets, ceux de Déodat de Séverac et de Ricardo Vines.

Le Jour, image dynamique, montre l’envol du char d’Apollon vers une clarté chaude et vivante. Le jaune éclatant domine, l’exubérance des fleurs envahit les parties latérales. Le Jour est aussi un hommage vibrant de Redon à Eugène Delacroix qui l’a fasciné dès sa jeunesse. Dans A soi-même, le peintre écrit à propos d’Apollon vainqueur de Python de Delacroix au Louvre : « C’est le triomphe de la lumière sur les ténèbres. C’est la joie du grand jour opposé aux tristesses de la nuit et des ombres, et comme la joie d’un sentiment meilleur après l’angoisse. »

Le Silence, Odilon Redon, Bibliothèque de l’Abbaye de Fontfroide, 1910-1911

Comme un ultime clin d’œil aux obsessions de Redon et aux caractéristiques du lieu, le dernier panneau, sous lequel on passe en quittant la bibliothèque, représente un mystérieux personnage au visage sombre qui pose son index sur ses lèvres, au milieu de halos dorés. Intitulée Le Silence, cette œuvre semble inviter le spectateur au calme et à la sérénité propres à une bibliothèque et à une abbaye, tout en gardant le secret sur le monde ambigu et indéfini des rêves.

 

Informations pratiques

Commémoration nationale Odilon Redon à l’Abbaye de Fontfroide, du 1er avril au 31 octobre 2016 – Bibliothèque et église Abbatiale

Les visites de l’exposition Odilon Redon ont lieu une fois par jour à 14h, avec un guide conférencier, limitées à 19 personnes. La visite durera environ 1h.
Les réservations peuvent se faire sur le site www.fontfroide.com ou bien par téléphone au 04 68 45 11 08.

Il est possible de prendre un billet pour la visite de l’Abbaye et de ses jardins en plus de la visite Odilon Redon.

Tarifs visite exposition Odilon Redon : 10,00€ par adulte
7,00€ par enfant (de 6 à 18 ans)
8,00€ par étudiant ou personne à mobilité réduite
32,00 pour les familles (2 adultes + 2 enfants)

Venir à l’Abbaye de Fontfroide : http://www.fontfroide.com/acces/

Photos: © Henri Gaud

* Article « Odilon Redon, le merveilleux de la peinture » de Marius-Ary paru en 1907 dans la Revue illustrée.

Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *