Fragile dureté.
Quand vous entrez dans cet espace, il y a une gêne. Et cette gêne est géniale. Le sol fait socle. Vous marchez dessus. Exactement, sur des carreaux blancs de céramique industrielle posés à cru (ou presque) selon la diagonale de la Galerie. Suffisamment solides pour carreler un sol mais fragiles au point de se fendre, craquer et se briser sous votre poids ; enfin, surtout le mien… Il n’y a rien à expliquer, il y a à voir, toucher, entendre, éprouver par les pieds. Cette dureté fragile vient stimuler votre « intelligence des sens » si peu sollicitée par ailleurs et pourtant tellement nécessaire à l’art. La conception en revient à Quentin Euverte, Guillaume Gouerou et Paul Lebras.
La pièce, déjà présentée en 2013, élargit le regard du visiteur à toutes ses sensations. On sait, d’un authentique savoir, celui d’une expérience sensible différente de celle de l’artiste, en quoi consiste la céramique. On lira qu’il s’agit d’une matière cuite, l’argile. Le terme céramique désigne l’ensemble des objets fabriqués en terre ayant subi une cuisson à température plus ou moins élevée. POINT QUARTZ, qui donne son titre à l’exposition correspond à 573°, le point de fusion qui transforme l’argile en céramique de manière irréversible.
Grave grâce.
Sur ce socle reposent des œuvres de virtuoses du médium, comme Johan Creten ou Cameron Jamie, ou- si j’ose dire – d’usagers occasionnels non moins intéressants comme Natacha Lesueur ou Bertrand Lavier, ainsi que d’anciens élèves ou résidents de la Villa, Yvonne Roeb, Eun Yeoung Lee, PascalPinaud. L’image du jardin s’impose par le nombre d’œuvres au sol et des allusions à Carl André. Une œuvre verticale Le Grand paysan (1898-99) d’Aimé-Jules Dalou évoque le poids du matériau attiré par le sol. Non seulement parce que ce travailleur de la terre la regarde, mais surtout parce que cette édition en grès a connu un problème de cuisson. La statue penche, elle flanche. Aubaine du raté. Grâce de la gravité. Le sous-titre de l’exposition s’en amuse : Flower of Kent est la variété de la pomme qui, en tombant, aurait inspiré à Newton la loi universelle de la gravitation !
Quant à nous, nous rendons grâce pour la rencontre de ces « fruits de la terre et du travail des hommes » que le feu de l’Esprit métamorphose.
P. Michel Brière,
au service du Monde de l’art, Paris et aumônier des Beaux-arts