L’Apocalypse d’Angers, guide artistique de Jean Lurçat

À l’occasion du cinquantenaire de la mort de Jean Lurçat (1892-1966), les musées d’Angers reviennent sur les liens profonds nés en 1938, entre l’artiste et la tapisserie de L’Apocalypse d’Angers datant du 14e siècle. L’exposition « Jean Lurçat. L’Éclat du monde» permet au public jusqu’au 6 novembre 2016 la (re)découverte d’une centaine d’œuvres issues des collections d’Angers et de grandes collections publiques. En outre, le musée des Beaux-Arts d’Angers bénéficie du prêt spectaculaire de la tapisserie de L’Apocalypse, réalisée par Jean Lurçat pour la chapelle d’Assy (Haute-Savoie) en 1947 et longue de 16 mètres.
Publié le 15 septembre 2016

L’Apocalypse d’Angers

Commandée par Louis Ier (1339-1384), duc d’Anjou, et réalisée entre 1373 et 1382, la tapisserie de L’Apocalypse demeure l’un des plus extraordinaires chefs-d’œuvre de l’art médiéval occidental. Longue de 138m (il en reste 104 de nos jours) pour une hauteur de 6m, soit une surface initiale de quelque 830m2, la formidable tenture illustre l’Apocalypse de Saint-Jean, dernier livre du Nouveau Testament.

L’Apocalypse, tapisserie, 1,48 x 2,40 m, Angers, château © photo Caroline Rose / Centre des monuments nationaux

Nicolas Bataille, « valet de chambre » du Duc, fut chargé de financer les travaux et d’organiser leur mise en œuvre. Jean de Bondol (ou Jean de Bruges) conçut les cartons et les maquettes, sans doute assisté d’une seconde main. Enfin, la tapisserie est confiée aux ateliers du lissier Robert Poisson. La finesse du travail de tissage est exceptionnelle : en effet, l’œuvre est sans envers (tous les fils de trame ont été dissimulés lors du tissage). L’ensemble est constitué de six pièces, chacune composée de quatorze tableaux, disposés sur deux niveaux.

Conservé au château d’Angers au 15e siècle, ce chef-d’œuvre est ensuite légué à la cathédrale Saint-Maurice par le roi René. À l’époque moderne, la tapisserie est régulièrement exposée dans le choeur jusqu’à ce que les chanoines décident de sa mise au rebut, à la fin du 18e siècle. Plusieurs scènes disparaissent. Restaurée en 1849 et 1870, elle a réintégré le trésor de la cathédrale en 1870. Enfin, elle est de nouveau transférée au château en 1954, dans une toute nouvelle galerie construite pour lui servir d’écrin.

Le Chant du Monde

Jean Lurçat, Le Grand Charnier, Le Chant du Monde, 1959, tapisserie, 4,40 x 7,40 m, atelier Tabard (Aubusson), Angers, musées, photo musées d’Angers / F. Baglin ©Fondation Lurçat / ADAGP Paris 2016

C’est là que Jean Lurçat la découvre en 1938. La révélation à la fois esthétique, poétique et technique le convainc d’adopter la technique de la tapisserie pour créer un art monumental, et lui inspire son œuvre célèbre « Le chant du Monde » réalisée entre 1957 et 1965.
Cet extraordinaire magma de terreurs de prévisions, de cataclysmes, d’hommes fauchés par l’adoration et la prière ; ces tendresses et ces massacres de L’Apocalypse, voilà qui m’apparut comme une démonstration que la peinture peut, et sans doute doit, plonger jusqu’au cou dans les passions, espoirs, misères et anticipation des hommes.

Peut-être qu’aux yeux de Lurçat, le plus étonnant de cette découverte fut la troublante actualité, le caractère à jamais contemporain, de cette vision qui confronte toutes les terreurs de l’homme à toutes ses raisons d’espérer. Depuis ce jour d’été 1938, le thème de l’apocalypse ne quittera plus Jean Lurçat.

Jean Lurçat, Ornamentos Sagrados, LE CHANT DU MONDE, 1966, tapisserie, 4,40 x 10,50 m, atelier Tabard (Aubusson), Angers, musées, photo musées d’Angers © Fondation Lurçat / ADAGP Paris 2016 – détail ci-dessous

En 1957 il commence l’exécution de ce qui restera son plus grand défi : la réalisation d’une apocalypse des temps présents, témoignage de son époque comme l’était celle du Moyen Âge. D’abord intitulée « La Joie de Vivre », la tapisserie composée de 10 pièces gigantesques, deviendra « Le Chant du Monde ».

J’ai commencé par la bombe atomique, parce que le danger atomique c’est la base, c’est à partir de lui que notre monde s’organise et se définit. La Grande Menace, c’est la bombe. Sur ma tapisserie, on la voit, à gauche. Elle est lançée par une espèce d’aigle, un animal-vautour qui tombe sur notre planète comme sur une proie. J’ai symbolisé le monde par cette masse ronde sur laquelle on distingue les silhouettes des grandes capitales humaines… Il y a la Tour Eiffel – c’est à dire Paris – il y a les pyramides, des gratte-ciel, des pagodes, etc… Tout cela c’est notre univers. Et en-dessous du globe terrestre, on peut voir une forme conique, une sorte de Vésuve couronné de fumée : c’est la transposition littérale, en somme, de l’expression familière : “Le monde vit sur un volcan…« .

L’Apocalypse de Jean Lurçat

Après la défaite de 1940, la renaissance de la tapisserie française, à laquelle il œuvre dans le sillon du Front Populaire, devient aux yeux de Lurçat un acte de résistance, qu’il concrétise notamment par le tissage clandestin de Liberté (1943), d’après le poème d’Éluard. Placée sous le signe de l’espérance et du jaillissement vital, sa production textile répond à un oeuvre peint dominé par de sombres pressentiments et de cruelles certitudes.

Né en Lorraine, ancien combattant de 14-18, déchiré par la guerre d’Espagne, sa patrie de cœur, Lurçat participe à la lutte armée dans les maquis du Lot. Il vit dans l’ombre effroyable d’un péril toujours imminent, car voilà qu’apparaît en 1945, au seuil de la nuit, « l’épouvante absolue », « la fin de tout », « la grande menace » atomique.

Cependant, au fond de la boîte de Pandore, une fois échappés tous les fléaux du monde, subsiste l’Espoir. C’est dans ce contexte que Lurçat reçoit en 1947 la commande d’une grande tenture pour le chœur de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce sur le plateau d’Assy en Haute-Savoie, construite par l’architecte Maurice
Novarina.

Pour décorer l’édifice, le chanoine Jean Devémy prend conseil auprès du dominicain Marie-Alain Couturier, ancien élève du peintre Maurice Denis et partisan d’un renouveau de l’art sacré. Contre l’avis d’une partie de la hiérarchie catholique, plus attachée à la tradition, les deux hommes s’adressent à des artistes contemporains : Léger, Matisse, Chagall, Rouault, Bazaine, Bonnard, Braque, Lipschitz, Richier…

Jean Lurçat, Le Combat entre la femme et le dragon, L’Apocalypse, 1947, tapisserie, L. 16 m , église Notre-Dame-de-Toute-Grâce, Assy, Assy / CNAP, photo Pascal Lemaitre / CMN ©Fondation Lurçat / ADAGP Paris 2016

Pourtant, ils n’ignorent ni l’athéisme de Lurçat ni son adhésion au Parti communiste : « Quand j’ai fait l’église d’Assy, les Dominicains m’ont dit : C’est le combat du Bien et du Mal. Pour savoir de quoi il retourne, pas besoin d’être catholique. Ni les Dominicains ni moi n’avons essayé de nous placer sur le plan de la propagande. Il y a eu, des deux côtés, une largeur d’esprit naturelle ».

Longue de 16 mètres, cette Apocalypse, exceptionnellement prêtée à Angers pour l’exposition, est la première grande tenture produite en France au 20e siècle, selon les techniques et méthodes initiées par l’artiste, notamment celle du carton numéroté. Le thème choisi, « La Femme et le Dragon », évoque, en butte à la puissance destructrice du mal, l’Église, sous les traits de la Vierge Marie, dont le triomphe final est chanté, dans le compartiment inférieur de la tapisserie, par l’écrasement mouvementé du dragon.

Jean Lurçat et l’art contemporain

En écho à l’exposition « Jean Lurçat. L’éclat du monde » du musée des Beaux-Arts, la Ville d’Angers a invité l’artiste irlandaise Claire Morgan à concevoir une œuvre monumentale in situ.

Sa sculpture, Plenty More Fish in the Sea, exposée au musée Jean Lurçat, au cœur de l’ancien hôpital Saint-Jean, dialogue avec les dix tapisseries qui composent Le Chant du Monde

Un véritable échange s’instaure entre ces deux œuvres de générations différentes, mais reflets d’une thématique commune, celle de  l’Apocalypse.

Dans ses créations, l’artiste dévoile sa vision du monde en s’interrogeant sur les notions de vie, de fragilité, de disparition, de mort, qu’elle incarne notamment à l’aide d’animaux taxidermisés par ses soins. Le tableau en trois dimensions (200 x 800 x 100 cm) qui incarne, pour elle, le spectacle de notre vie contemporaine et nous interroge sur les liens entre la nature et l’être humain.
Cette oeuvre « condamne nos moeurs du « tout jetable » : les produits de consommation, mais aussi les vies humaines et la Terre même ».

Claire Morgan, Plenty More Fish in the Sea (croquis), 2016, crayon et aquarelle sur papier ©Claire Morgan Courtesy Galerie Karsten Greve Cologne, Paris, St Moritz

Pour prolonger l’hommage à Jean Lurçat, décédé il y a 50 ans, le musée des Gobelins consacre, jusqu’au 18 septembre 2016 l’exposition « Jean Lurçat, Au seul bruit du soleil » au parcours de cet artiste-peintre, céramiste, créateur de tapisseries, dont l’influence a marqué l’histoire de la tapisserie contemporaine.

Informations pratiques

Jean Lurçat, L’éclat du Monde, jusqu’au 6 novembre 2016
Musée des Beaux-Arts
14, rue du Musée – 49100 Angers
Tous les jours de 10h à 18h
Du mar. au dim de 10h à 18h (à partir du 19/09)

JEAN LURÇAT, LES CARTONS DE LA TAPISSERIE LE CHANT DU MONDE EXPOSÉS AU MUSÉE DES BEAUX-ARTS D’ANGERS

Claire Morgan et Le Chant du Monde, jusqu’au 6 novembre 2016
Musée Jean-Lurçat et de la Tapisserie contemporaine
4, boulevard Arago – 49100 Angers
Tous les jours de 10h à 18h
Du mar. au dim. de 10h à 12h / 14h à 18h (à partir du 19/09)

Tarifs d’entrée
> Exposition « Jean Lurçat. L’éclat du monde » ou claire Morgan – 4€ / 3€ / gratuit -26 ans
> Exposition « Jean Lurçat. L’éclat du monde » + Claire Morgan – 6€ / 5€ / gratuit -26 ans
> Billet Jumelé Château / musées d’Angers – 15€

En savoir plus : musees.angers.fr/expositions/expositions-en-cours/hommage-a-jean-lurcat

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