De Marcelle Gallois à sœur Geneviève
Artiste précoce, Marcelle Gallois commence le dessin dès 1899 et fait déjà preuve de maturité. Son père, sous-préfet volontiers anticlérical, décèle très tôt son talent. C’est lui qui l’inscrira au Beaux-Arts de Montpellier en 1908 puis de Paris en 1910. Intransigeante et rebelle à l’enseignement académique, elle n’y restera pas longtemps… Son esprit libre la guide rapidement vers le dessin satyrique. Aux côtés d’Adolphe Léon Willette, elle est rapidement reconnue pour son travail et expose en Suisse en 1911 et au Salon des dessinateurs humoristiques à Paris en 1912. Ses œuvres de jeunesse ont un caractère passionné qui reflète sa personnalité : l’artiste saisit ses personnages sur le vif, au crayon gras, parfois légendé d’une indication hâtive, teintée d’humour ou d’ironie.
Malgré le succès, Marcelle Gallois se trouve confrontée à une profonde crise existentielle. Au sein même de sa démarche artistique, se pose la question du sens : de son succès, de la Guerre, de la vie …
En 1909, à 29 ans, elle assiste à la messe de Minuit dans la chapelle des Bénédictines de l’Abbaye Saint-Louis-du-Temple, rue Monsieur à Paris. Elle n’y retourne que quelques années plus tard et se trouve frappée par « la présence spirituelle qui vous accueillait« .
Elle entre comme postulante au monastère de la rue Monsieur le 17 septembre 1917. Elle prend le voile blanc des novices un an plus tard et devient Sœur Geneviève. Son père ne comprend pas ce sacrifice et ils ne parviendront jamais à se réconcilier.
Geneviève Gallois renonce à son art en choisissant cette vie. Au monastère, un décalage existe entre la personnalité forte de sœur Geneviève, éprise de vérité et d’absolu, et le monde des autres sœurs qui vivent leur foi simplement et ne se posent pas tant de questions. Dans cette vie en communauté, les malentendus se multiplient et Geneviève Gallois souffre d’être incomprise. Son caractère indépendant, détestant toute forme de médiocrité, lui donne un regard critique et pas toujours bienveillant sur le comportement de ses sœurs qui se sentent perpétuellement mises en cause.
En 1919, Geneviève Gallois doit prononcer ses premiers vœux temporaires et connaît la première épreuve du refus… qui durera jusqu’en 1933, à l’âge de 45 ans, où elle deviendra Mère Geneviève, au prix de longues années vécues dans l’humiliation d’être maintenue dans la condition de novice.
Une caricaturiste au couvent
L’année 1931, le monastère de la rue Monsieur organise une vente de charité exceptionnelle. Paul Alexandre, collectionneur d’art et mécène du peintre Amedeo Modigliani, s’y rend. Il est vivement intéressé par six scènes de la vie de Jeanne d’Arc dessinées par une artiste anonyme et qui ne sont pas à vendre… Il en commande une reproduction et c’est alors qu’on lui parle pour la première fois de sœur Geneviève. Il ne lui sera pas permis de la rencontrer. Avec l’autorisation de la mère supérieure, Paul Alexandre passe une première commande artistique à sœur Geneviève. Bien d’autres suivront ensuite…
Dans ses commandes, Geneviève Gallois dépeint « la vie chez les captifs volontaires« . Ces œuvres, gouaches sur fond préparé, évoquent l’antiphonaire, recueil de chant liturgique de couleurs noir et rouge. Le dessin, cerné de noir, oscille entre narration et intériorité : au-delà de la gestuelle, l’essentiel de l’activité de la moniale est invisible… Geneviève Gallois livre un témoignage rare de la vie quotidienne des moniales. Dans Le Sacré ménage, le ménage devient une métaphore de la vie spirituelle où l’on nettoie son âme.
La liturgie tient une place importante au couvent de la rue Monsieur. C’est d’ailleurs pour la beauté des chants et de la liturgie que les artistes et intellectuels de l’époque se déplacent aux messes et offices… si bien que l’on doit réserver sa place pour espérer avoir la chance d’y assister ! Geneviève Gallois achève en 1949 trois séries autour de la messe (grise, brune et couleurs) d’une trentaine d’œuvres pour laquelle elle invente des formes d’une originalité surprenante. Elle force le trait pour « faire émerger », accentue pour intensifier l’expressivité. L’importance du sujet requiert pour mère Geneviève Gallois une forme inédite capable d’exprimer la « force de la certitude ».
Lorsque Geneviève Gallois prononce ses vœux en 1933, Paul Alexandre lui offre une presse à graver. En 1949, elle se sent suffisamment avancée dans la technique de la gravure pour entreprendre l’œuvre qui lui tient à cœur : la Via Crucis – quatorze stations du chemin de Croix. Toute son expérience d’artiste, ses souffrances et les atrocités de la guerre se rejoignent pour créer cette œuvre, d’une originalité absolue et d’une grande puissance suggestive. Les commandes afflueront de toute l’Europe et même des Etats-Unis grâce au soutien d’une autre artiste, Marie Laurencin.
Geneviève Gallois décède en 1962 quelques semaines après avoir achevé l’exécution des vitraux de l’abbatiale de Limon. L’Œuvre est unique et d’une grande sensibilité.
Chloé Tubœuf
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