En introduction à l’exposition, la percutante série de panoramiques de Gautier Deblonde (né en 1969,) effectués entre 2004 et 2013 dans les ateliers d’artistes contemporains les plus célèbres, nous saisit : les artistes de l’époque avaient leurs assistants ; aujourd’hui un Jeff Koons ou un Anish Kapoor ne peut se passer de nombreuses petites mains pour réaliser des œuvres monumentales. Mais l’atelier est là pour en témoigner : le processus de création naît de l’artiste seul face à la matière. Rendre palpable ce processus, tel est la passionnante réflexion qui nous est proposée à travers les 400 photographies, peintures, sculptures et vidéos présentées. Depuis Jean-Auguste-Dominique Ingres jusqu’à Pierre Soulages et Miquel Barcelo en passant par Auguste Rodin, Constantin Brancusi, Ossip Zadkine ou Nicolas de Staël.
Curieuse démarche que celle de photographier les artistes dans leur atelier. Ou les ateliers sans les artistes eux-mêmes. Mais ce qui est plus étonnant encore est le jeu qui s’instaure entre le regardeur et le regardé. Les photographes ont contribué à entretenir la fascination pour l’atelier d’artiste et son mythe dans l’imaginaire collectif. Les intérieurs encombrés de collections et de souvenirs d’Orient qu’affectionnaient les peintres du XIXe siècle, la verrière, le poêle, le bric-à-brac…
Dès le début de la photographie, l’artiste devient un sujet de collection et de curiosité publique. Au XIXe siècle, les portraits « carte de visite » des grands noms de la peinture et de la sculpture sont réunis dans d’épais albums. Avec ses décors artificiels, l’atelier est un lieu de sociabilité qui doit séduire le client potentiel. Au XXe siècle, le reportage prend la suite, documentant pour la presse les intérieurs d’atelier. Ainsi Henri Matisse accueille Paris Match au pied de son lit pour un reportage en mai 1950 intitulé « Il ne peint plus qu’avec les couleurs du soleil ». La reproduction couleur est essentielle pour restituer l’univers glamour dans lequel évoluent les artistes célèbres. Picasso, le plus avisé d’entre eux, construit et manipule son image médiatique avec virtuosité, distillant les informations sur sa vie privée et nourrissant son aura.
Il est néanmoins difficile de représenter l’artiste au travail : jaloux de son intimité, il ne se laisse capturer que par un objectif qu’il sent proche et bienveillant. Les photographies d’atelier les plus intenses ont souvent pour toile de fond l’amitié et le partage. Lorsque Gérard Rondeau rencontre Louise Bourgeois (1911-2010) pour Le Monde, le photographe dû déployer tout son tact pour le bon déroulement de la séance. L’artiste, connue pour son interventionnisme, ne laissait publier d’elle et de son atelier que des images qu’elle avait préalablement sélectionnées.
Face à la série sur les mains des artistes on s’attarde devant celles de Bourdelle en train de sculpter « La mort du cygne » en 1929, ou devant celles de Pierre Bonnard travaillant les couleurs sur sa palette. Quoi de plus touchant que de reconnaître épinglées sur les murs de l’atelier de ce dernier des reproductions d’œuvres de Picasso, Renoir, Seurat ou Vermeer ; et sur ceux de l’atelier de Picasso rue des Grands-Augustins les œuvres de Modigliani ou de Jérôme Bosch ?
Les indices de leurs inspirations témoignent de l’influence exercée entre contemporains et les placent visuellement dans la grande Histoire de l’Art. On regarde avec délectation et émotion Rodin taillant le marbre et Renoir manipulant le pinceau ; vidéos réalisées entre 1914 et 19115 par Sacha Guitry en réaction à la propagande culturelle allemande des premières années de guerre. Celle de Monet déambulant dans son jardin montre que, lorsque les artistes quittent l’atelier au milieu du XIXe siècle pour travailler en plein air, les photographes les suivent, immortalisant les dispositifs parfois complexes qu’ils mettent en œuvre pour emporter avec eux leur lieu de travail : boîtes de transport, ombrelles, sièges pliants…
La vie dans l’atelier est aussi évoquée : les photographes sont les témoins privilégiés des activités et des rencontres qui y prennent place. La relation entre l’artiste et son modèle devient un sujet à part entière, nourrissant les recherches et les rêveries de nombreux photographes. Ceux-ci donnent également un visage aux épouses d’artistes, grandes oubliées de l’histoire de l’art alors qu’elles jouent le plus souvent un rôle essentiel dans la vie créative, voire dans la diffusion et la promotion de l’œuvre. Parfois elles-mêmes peintres ou sculpteurs, nombreuses sont celles qui partagent l’espace de travail de leur moitié, et les couples d’artistes œuvrant de concert sont fréquents.
Mis en scène ou pris sur le vif, les artistes et leurs lieux de création acceptent de se laisser un peu approprier. Ils nous proposent, à la manière d’un jeu de piste, de découvrir la multitude d’informations que révèlent ces décors, méticuleusement rangés ou bouillonnants: les outils utilisés, les matériaux en attente d’être travaillés, les essais de couleurs et les modèles étudiés. Observer les mouvements et les gestes effectués, le regard d’un artiste sur l’œuvre en cours, son expression face à l’objectif,…tant d’indices qui nous rapprochent de ce qu’ils sont. Une exposition de photographies, oui. Mais certainement pas comme les autres.
Informations pratiques
Dans l’atelier. L’artiste photographié d’Ingres à Jeff Koons, jusqu’au 17 juillet 2016
Petit Palais-Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Avenue Winston Churchill – 75008 Paris
01 53 43 40 00
Du mardi au dimanche de 10h à 18h – nocturne le vendredi jusqu’à 21h.
Plein tarif : 10€ – réduit : 7€ – gratuit jusqu’à 17 ans inclus.
www.petitpalais.paris.fr/fr/expositions/dans-latelier