Le réel et son double : Jacques Monory à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence

Influencée par le Pop’Art et proche de la Figuration dite Narrative, l’oeuvre kaléidoscopique de Jacques Monory (1924-2018) s’expose jusqu’au 22 novembre à la Fondation Maeght. Le réalisme trouble de ses toiles énigmatiques, teintées de bleu onirique ou de couleurs faussement suaves, interrogent et percutent violemment le visiteur.
Publié le 30 juillet 2020

On trouve, juxtaposés dans cette œuvre, de vastes étendues vides et des villes dépeuplées, des bêtes sauvages et des hommes solitaires, des buildings qui s’effondrent et des scènes de violence, des images de meurtres et des baisers de cinéma. Des paysages en technicolor, aussi, dont le kitsch hollywoodien et les couleurs acidulées semblent avoir viré, transformant le rêve en cauchemar. Et puis ce fameux bleu dans lequel Jacques Monory a souvent trempé ses toiles pour filtrer une réalité trop dure et la mettre à distance. La mort n’est jamais loin.

JACQUES MONORY, Couleur n°1, 2002 © Jacques Monory

Une atmosphère de thriller américain baigne son univers étrange et sombre, proche du cinéma : la mise en scène figée de ces récits séquentiels donne l’illusion du mouvement. Cadrages décalés et rythmes fragmentés en signent les apocalypses : ses grands formats combinent leurs scènes principales avec des plans secondaires ou de moindres vignettes; des néons blafards les éclairent parcimonieusement; des mètres gradués tentent d’en prendre la mesure sans y parvenir; des pellicules de plexiglas les recouvrent partiellement; des inclusions de miroirs les déchirent ou de dures diagonales les traversent et, parfois, des impacts de balles les perforent.

De G. à Dr. JACQUES MONORY,Technicolor n°8 Babylone, 1977 © Galerie Maeght Paris; Jacques Monory, Baiser n°19, 2001 © Jean-Louis Losi

Des chiffres et des inscriptions fournissent des indices utiles au décryptage de cet univers en forme de polar très noir : « Babylone », peut-on lire au revers du fauteuil de l’artiste dans Technicolor n°8, comme un autoportrait en metteur en scène vu de dos; « Dying » s’écrit au-dessus des héros photogéniques de Baiser n°19… « Death » déchiffre-t-on sur la pancarte qui longe la route s’enfonçant dans le désert de Death Valley n°1, souvenir d’une traversée des Etats-Unis en 1973. Orgueil et autodérision parachèvent ce tableau désenchanté du monde.

JACQUES MONORY, Death Valley n°1, 1974 © Augustin de Valence

« Romantique égaré dans un monde sans romantisme » dit-il, Monory se fait à la fois le chroniqueur d’une mort annoncée, le scribe d’un sens perdu, l’archéologue d’une société contemporaine aseptisée et le gardien d’une vie sauvage menacée : ambiances dramatiques et destins tragiques teintent ses toiles d’une irrémédiable nostalgie. Désabusé, l’artiste promène un miroir le long de son existence : de même que Stendhal avant lui, son univers y reflète un « azur des cieux » aux apparences bien trompeuses. Car si son « bleu qui nous meurtrit d’un froid bref » (Guillaume Apollinaire) et ses couleurs acidulées agissent comme un filtre protecteur, ils sont aussi les révélateurs de nos stratagèmes illusoires pour éviter le réel décrits par Clément Rosset dans son célèbre ouvrage, Le réel et son double. En guise de mise en garde, dès l’entrée de l’exposition, Noir n°9 superpose ainsi deux images similaires inversées représentant un homme à terre sous l’œil indifférent de rares passants, tandis qu’Abréviation du vide n°8 met en scène un duel au revolver entre l’artiste vêtu et son double, nu.

JACQUES MONORY, Noir n°9, 1990 © Jacques Monory

Comme sur des photogrammes gelés, la peinture de Jacques Monory opère ainsi une contraction entre dimensions réelles et fictives. De ce « mélange de réalité et d’imaginaire finissant sur le vide » (sous-titre de son deuxième court-métrage réalisé en 1973) résulte le malaise des spectateurs que nous sommes : que choisir entre le vide et l’aliénation, semble demander l’artiste ? Dénonçant l’étrangeté de ce monde invivable et pourtant seul disponible, Monory préconise le « rire de la connaissance » et la lucidité comme seuls remèdes ; au risque de nous perdre dans le néant glacé de ses mises en scènes désespérées.


Odile de Loisy

Informations pratiques

Fondation Marguerite et Aimé Maeght
06570 Saint-Paul de Vence
04 93 32 81 63 – www.fondation-maeght.com
Juillet-août : 10h-19h / Septembre-juin : 10h-18h
Exposition du 1er juillet au 22 novembre 2020

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