« Je suis là pour que ton coeur s’arrête. »
C’est ainsi que Mark Rothko, célèbre peintre new-yorkais des années 1950, définit le rapport de l’artiste à son public.
Influencé par l’œuvre d’Henri Matisse, Rothko (1903-1970) occupe une place singulière au sein de l’École de New York. Hostile à l’expressionnisme, il invente une nouvelle façon, méditative, de peindre, que la critique définira comme « peinture en champs de couleur ».
Dans ses toiles, il s’exprime exclusivement par le moyen de la couleur qu’il pose sur la toile en aplats à bords indécis, en surfaces mouvantes, parfois monochromes et parfois composées de bandes diversement colorées. Il atteint ainsi une dimension spirituelle particulièrement sensible.
Chez Rothko, la couleur est débarrassée de l’objet et devient l’unique objet de vision. Dans son œuvre, il joue avec les bandes, et cela lui permet de développer davantage la dimension de l’expression par rapport à celle de la couleur. Ainsi, Mark Rothko déplace sciemment le centre d’intérêt : acte de voir et non plus acte de comprendre.
La pièce de théâtre a donc pour cadre l’atelier de Rothko, en 1958, où il vient d’engager un jeune assistant, Ken. D’abord impressionné et soumis à ce maître intransigeant, l’élève Ken va vite s’opposer et faire entendre une voix différente concernant le rapport de l’artiste à son oeuvre et à son public… et donc remettre en question les grandes théories du maître de l’art.
L’affrontement a lieu au moment où Rothko réalise une commande de vastes fresques murales qui doivent orner le très chic restaurant Four Seasons… Jusqu’où peut aller la compromission mercantile et superficielle ? Rappelons que Rothko se suicidera en 1970 dans l’éternel regret de ne pas avoir atteint l’illumination.
« ROUGE », créé à New York avec grand succès et repris à Paris dans une adaptation de Jean-Marie Besset et une mise en scène de Jérémie Lippman, n’interroge donc pas seulement la peinture, mais l’art en général. Elle nous introduit au cœur de la création, et elle interroge les processus du créateur. Elle dresse le portrait d’un esprit en colère et brillant, qui vous demande de ressentir la forme et la texture des pensées. Niels Arestrup incarne Rothko, le génie misanthrope, et Alexis Moncorgé (petit-fils de Jean Gabin) est Ken, le roseau malmené qui ne rompt pas.
Père Philippe Desgens