Cet été, un petit miracle presque silencieux a lieu dans le bruit médiatique du Royal Baby, de la vague de chaleur et des « Whaam ! » de l’exposition Roy Lichtenstein présentée dans le même musée… Et pourtant l’exposition Simon Hantaï au Centre Pompidou est d’importance. D’une part, parce que c’est véritablement la première fois depuis 1976 qu’autant de toiles de l’artiste sont accrochées ensemble, d’autre part parce qu’à une époque où l’art d’aujourd’hui est accusé de bien des maux, l’exemple d’Hantaï travailleur acharné, muet dans le silence artistique, par conviction contre la marchandisation du monde de l’art, devrait justement nous interpeller.
L’oeuvre de Simon Hantaï est dense et variée, ponctuée de mouvements, de périodes, d’influences et de foi…La rétrospective du Centre Pompidou donne à voir 130 peintures de l’artiste présentées chronologiquement, ce qui permet au visiteur de bien « s’installer » dans le processus créatif d’Hantaï. Pensée pendant presque deux années par Dominique Fourcade, poète, critique d’art et ami du peintre, par Alfred Paquement, directeur du Centre Pompidou et Isabelle Monod-Fontaine, ancienne directrice adjointe du musée, cette exposition est un véritable chemin dans l’oeuvre du peintre qui impressionne par son ampleur.
Né en Hongrie en 1922, il étudie aux Beaux-arts de Budapest avant de s’installer à Paris en 1948. Durant son voyage, de Budapest à Paris, une étape est d’importance : l’Italie. Les oeuvres religieuses qu’il va étudier là-bas vont avoir une certaine influence sur son oeuvre même si elle n’est pas immédiate.
A partir des années 50, il se lie avec les Surréalistes, mouvement qu’il quittera en 1955 pour un langage pictural résolument plus abstrait. S’inspirant de Pollock et son « Dripping » Hantaï réfléchit au propre de la peinture et à la gestuelle. Plusieurs toiles très colorées naissent de ces expérimentations. En 1957, il peint Souvenir de l’avenir qui est en quelque sorte une profession de foi, en tous cas l’expression picturale d’un élan spirituel fort qui ne le quittera plus.
Cette spiritualité chrétienne affirmée culmine dans les années 1958-1959. L’exposition présente les deux toiles majeures de cette période, pour la première fois montrées ensemble, l’une à côté de l’autre : Peinture (Écriture rose) et À Galla Placidia travaillées pendant un an, l’une le matin, l’autre l’après-midi après la messe. Ce travail considérable, (les toiles font respectivement : 329,5 x 424,5 cm et 326 x 400 cm) est un véritable exercice spirituel en même temps que l’accomplissement de deux techniques picturales exigeantes : l’écriture et la petite touche.
« Le rose qui émane de Écriture rose n’existe pas sur la toile, il est produit par des couches et des couches d’écriture à l’encre rouge, violette, brune, tandis que la toile dédiée À Galla Placidia renvoie au ciel étoilé du plafond de mosaïque du mausolée de Ravenne qui produisit une si forte impression sur le peintre lors de son voyage de l’été 1948. »
Puis, 1960 marque un tournant dans l’œuvre de Simon Hantaï, ses Mariales issues de sa méthode de pliage vont définir une nouvelle manière de travailler : « Hantaï reprend systématiquement ce procédé – peindre sur une toile préalablement froissée ou pliée, n’en atteindre donc que certaines parties, puis la déplier, la peindre éventuellement à nouveau etc …- qu’il explorera désormais, en inventant pour chacune des séries réalisée après 1960 des modalités différentes de pliage, et donc des effets colorés extrêmement variés, et très souvent magnifiques. Mise à l’épreuve, inlassablement interrogée et pensée, la technique du pliage devient dès lors la donnée de base du travail de Hantaï, le principe d’une « méthode », qu’il qualifie comme telle en 1967. La quantité et la qualité des couleurs, leur rapport avec les blancs laissés en réserve dépendent bien entendu de la forme des plis : dans la série des Mariales, finement froissées (1960-1962), déjà se succèdent des tableaux recouverts de couleurs all-over et des tableaux où joue un fond lui-même préalablement aspergé de « drippings » pollockiens. Le blanc, sous forme de marges d’abord, prend une place plus importante dans les séries suivantes, Catamurons et Panses (1963-1965). »
La couleur, l’équilibre entre les parties peintes et non peintes, le « blanc », la méthode de pliage vont continuer de définir le travail de l’artiste qui, dans les années 70 créé une nouvelle série : Les Tabulas (1973-1982). Sur d’immenses toiles, qui font parfois 5 mètres de long, Hantaï fait des noeuds à intervalles réguliers. Une fois la toile dépliée et recouverte de peinture monochrome, de multiples petits carreaux apparaissent. L’exposition propose aux visiteurs de s’arrêter pour visionner plusieurs films datant de cette époque et dans lesquels Simon Hantaï explique sa manière de travailler (Jean-Michel Meurice, de 1976, « Grand Portrait : Simon Hantaï ou les silences rétiniens »). On le voit manipuler ces grandes toiles, se mettre à genoux, plier, nouer… C’est une relation physique avec la toile et la peinture, un véritable engagement.
L’exposition se termine avec quelques toiles de la série Laissées (1981-1994). A partir de 1982, juste après sa participation à la Biennale de Venise qui consacre le peintre au rang des plus grands, Simon Hantaï se retire du monde de l’art qu’il juge corrompu… Il ne fera ensuite que de rares apparition publiques et ses peintures ne sortiront presque plus de l’atelier. A partir d’oeuvres antérieures qu’il découpe et transforme, de nouvelles naissent et constitue la série des Laissées.
Si l’on peut très justement se demander ce qu’aurait pensé Simon Hantaï de sa rétrospective, lui qui ne voulait plus de manifestation publique, mais en temps que grande amatrice de sa peinture et comme de nombreux visiteurs, je peux murmurer en sortant de l’exposition : il était temps !
Clothilde Gautier-Courtaugis
Autour de l’exposition :
Les films diffusés dans l’exposition :
Des formes et des couleurs : Simon Hantaï
Réalisateur : Jean-Michel Meurice, 1974, Ina (ORTF) – 14 mn
Grand portrait : Simon Hantaï ou les silences rétiniens
Réalisateur : Jean-Michel Meurice, 1976, Ina (TF1) – 58 mn
Portrait Simon Hantai : Expression
Réalisateur : Pierre Desfons, 1981, Ina (TF1) – extrait de 3 mn
Catalogue de l’exposition :
Sous la direction de Dominique Fourcade, Isabelle Monod-Fontaine et Alfred Pacquement.
Catalogue de la première rétrospective jamais consacrée au travail de Simon Hantaï, cet ouvrage réunit tous les plus grands chefs-d’oeuvre de l’artiste, des toiles surréalistes aux peintures gestuelles à la manière de Pollock et des expressionnistes abstraits américains. Riche de plus de 300 illustrations couleur et de contributions des plus grands spécialistes, l’ouvrage est la référence sur le travail de Simon Hantaï et comble l’absence d’une monographie complète sur l’artiste. Disponible en version française et anglaise. 320 pages, 300 illustrations couleurs.
Prix : 49,90 €
Informations pratiques :
Centre Pompidou
75191 Paris cedex 04
téléphone
00 33 (0)1 44 78 12 33
métro
Hôtel de Ville, Rambuteau
Horaires
Exposition ouverte
tous les jours de 11h à 21h, sauf le mardi
Tarifs
11 à 13 euros, selon période
tarif réduit : 9 à 10 euros
Valable le jour même pour le Musée national d’art moderne et l’ensemble des expositions
Accès gratuit pour les adhérents du Centre Pompidou (porteurs du laissez-passer annuel)
Renseignements
01 44 78 14 63
Billet imprimable à domicile