Chaumont-sur-Loire fête sa 10e saison artistique ; 10 années qui ont été à l’origine de plus de 75 commandes artistiques et d’invitations de créateurs majeurs ou émergents venus du monde entier. C’est ainsi que sont naturellement présents de nouveaux plasticiens, invités à confronter leur imaginaire avec l’âme du Domaine. Mais, dans le cadre de cet anniversaire, certains artistes ayant particulièrement marqué ces dix ans, sont revenus créer une œuvre nouvelle. Pas moins de 15 commandes ou expositions viennent donc souligner cette année particulière du Centre d’Arts et de Nature de Chaumont-sur-Loire.
Sheila Hicks, grande invitée de la saison 2017, revient à Chaumont dans les appartements du Château avec l’utilisation combinée de deux matières : la laine et le papier, un papier épais comme une peau, en écho aux papiers peints anciens, aux murs et aux âmes en suspens dans ces espaces qui ont vu passer tant d’invités, de vies et de fantômes. « Sans rien dévoiler d’un message, toujours à plusieurs sens, les installations de Sheila Hicks sont des évocations d’univers secrets que l’artiste se plait à suggérer et à insinuer dans nos âmes. » (Chantal Colleu-Dumond, Directrice du Domaine de Chaumont-sur-Loire et commissaire d’exposition).
Parmi nos coups de cœurs de cette saison 2018, il y a bien sûr Simone Pheulpin, que nous avions découverte en 2017 à la Chapelle Expiatoire. Comme Sheila Hicks, elle s’exprime à travers le tissu ; pourtant leurs œuvres ne pouvaient être plus différentes. Là où les œuvres d’Hicks font exploser les couleurs vives et saisissent l’espace dans toutes ses dimensions, Pheulpin s’en tient au blanc cassé des bandes de coton brut, qu’elle épingle avec application et répétition, pli par pli, pour en faire des objets d’une densité remarquable. Les plis se font géologie, en même temps que les formes, volontiers arrondies, semblent relever de l’organique – animal ou végétal on ne sait, quand n’y apparaît pas cette pierre animale que sont les coquillages.
L’artiste japonais TANABE Chikuunsai IV installe dans la Grange aux abeilles une œuvre monumentale en bambou, toute en légèreté et en courbes. Evoquant la forme d’un tissu organique (nerf, neurone) autant que les racines d’un arbre gigantesque, la sculpture « Connexion » se veut un symbole fort du lien entre l’Homme et la Nature, et un rappel prégnant de sa primauté et de son inconditionnalité. Cette tension constante entre force et fragilité se retrouve aussi côté jardins, où Eva Jospin a installé rien de moins qu’une petite grotte, une « Folie ». Elle a su y créer un univers mystérieux d’un extraordinaire raffinement, une sorte de cocon où l’on profite quelques instants d’être à l’abri du monde extérieur et de son agitation permanente. Où le temps s’arrête.
L’un des thèmes de prédilection de Sarkis est la poésie du temps. Au Japon à partir du XVe siècle se développe la technique du Kintsugi, qui consiste à réparer des céramiques ou porcelaines brisées au moyen de laque saupoudrée d’or. Cette façon de valoriser, plutôt que de masquer la fêlure, est moins une démarche pragmatique que l’illustration d’une pensée philosophique profonde. Les blessures font partie intégrante de l’objet nouvellement restauré, qui retrouve sa fonction première, preuve d’une survie possible, par-delà les aléas du temps. Sarkis applique ainsi cette technique sur une commode Louis XV endommagée ; ainsi les discrètes jointures dorées se mêlent aux nervures du marbre et de la marquetterie du bois.
Chaumont-sur-Loire a toujours été propice aux œuvres qui s’inspirent et font résonner la nature et le végétal. Les célèbres herbiers d’Anne et Patrick Poirier y ont donc naturellement trouvé leur place. Mais l’œuvre la plus surprenante et la plus mystique de cette année se trouve au grand Parc des Prés du Goualoup : Fujiko Nakaya y a sculpté rien de moins que la brume. Nul besoin de connaître les processus technologiques élaborés qui ont permis la réalisation d’un tel prodige : l’expérience est là et elle seule prime !
Chaumont est à la hauteur de ses exigences artistiques, comme il le fait si bien depuis 10 ans : il nous plonge dans une expérience de l’art unique dont on ne sort pas indifférent. Bien d’autres oeuvres y ont laissé leur trace, n’attendant plus que votre visite !
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Toutes les photos sont © Éric Sander