Narthex : Monseigneur Gollnisch, comment le projet de l’exposition Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’Histoire est-t-il né et comment a-t-il été concrétisé ?
Mgr Gollnisch : Cela faisait plusieurs années que l’Œuvre d’Orient s’était approchée de l’Institut du Monde arabe (IMA) parce que ça nous semblait important de faire cette exposition dans cet Institut. Celui-ci a tout de suite été d’accord pour nous accueillir. Les liens de confiance ont été construits entre les collaborateurs de l’IMA et les collaborateurs de l’Œuvre d’Orient sur des éléments de culture, par exemple le travail archéologique fait par la France dans un certain nombre de lieux chrétiens historiques, le travail fait sur les manuscrits, sur les langues anciennes, etc.
Bien sûr, à l’Œuvre d’Orient nous avons le souci de plus en plus fort d’aider au maintien et à la connaissance de cette culture. Nous avons donc un certain nombre de spécialistes de haut niveau qui travaillent avec l’Œuvre d’Orient et qui ont pu ainsi entrainer l’adhésion des responsables de l’IMA pour ce projet. Ensuite il y a eu un remarquable travail de la commissaire scientifique de l’exposition, Raphaëlle Ziadé, mais sur le terrain nous avons parfois aidé à déterminer le choix des œuvres ou la question des relations entre les différentes communautés chrétiennes et l’IMA.
Votre rôle a donc été celui d’intermédiaires auprès des communautés locales ?
Le soutien de l’Œuvre d’Orient a surtout été utile et positif dans la mise en confiance des communautés chrétiennes moyennes-orientales pour prêter les œuvres. Les quelques désaccords ne sont d’ailleurs pas venus des Eglises elles-mêmes mais plutôt des règles très strictes posées par certains états par rapport au départ d’œuvres d’art ; exigeant des sommes ou des assurances exorbitantes pour la sortie du territoire.
Les 360 objets que cette collaboration a permis de rassembler sont des témoins de l’enracinement et de la vie de chrétiens dans les terres et dans les sociétés du Proche et du Moyen-Orient sur deux millénaires…ça laisse songeur !
En effet, l’Orient nous rappelle souvent dans sa manière d’être, de vivre, de penser, qu’il n’y a pas d’humain sans culture et de culture sans humain. Considérer une humanité décérébrée de ses racines culturelles et de son histoire serait une humanité qui serait en perdition. Hors, là nous avons une culture religieuse qui date de 2000 ans puisque ces chrétiens d’Orient ce sont les Chrétiens de la Pentecôte de Jérusalem. Ils sont allés à Damas, à Antioche, à Alexandrie, à Babylone, à Chypre et bien d’autre endroits quand nous, en Occident, nous étions encore avec nos druides à cueillir des fruits dans les arbres !
Nous devons beaucoup à cette culture, beaucoup de diocèses de France ont été fondés par des gens qui venaient du Moyen-Orient (par exemple l’un des Pères de l’Eglise, Irénée de Smyrne venu d’Asie Mineure, la Turquie actuelle, et devenu IIe évêque de Lyon entre 177 et 202).
Cette culture est donc originelle pour le Christianisme, ce sont les chrétiens orientaux qui nous ont apporté la foi chrétienne et donc je pense qu’il était important de rappeler la richesse de cette histoire. Peu de communautés dans le monde ont encore une culture vivante de 2000 ans. D’ailleurs nous ne sommes pas ici dans un musée mais dans un institut, c’est ancré dans la vie.
En parlant de vie, une large place est donnée aux divers évènements traumatiques vécus par ces communautés avec les réalités de l’exil, des persécutions et les questions inhérentes de la transmission et de la mémoire. L’exposition se clôture également sur le regard de chrétiens toujours sur place, soucieux de la pérennité de leur héritage et de leur foi…
Oui, c’est une actualité douloureuse que vivent ces minorités au Moyen-Orient. Daesh, Al-Qaida et d’autres encore veulent que les chrétiens soient chassés de leurs terres, disparaissent du Moyen-Orient : ce sont des communautés qui sont menacées dans leur existence. D’ailleurs on le voit bien dans la rage qu’a mis Daesh pour détruire les éléments de culture chrétiens parce qu’en s’attaquant à leur culture ils s’attaquent à leur identité pour les déraciner.
Alors au moment où certains voudraient dire que les chrétiens d’Orient seraient venus avec les croisés, avec les missionnaires, avec les colonialistes ou que sais-je encore, et bien non ! Cette exposition rappelle, de manière paisible et pacifique, que cette culture fait partie de la culture du monde arabe ! Beaucoup de liturgies au Moyen-Orient sont en arabe ! D’ailleurs la langue maternelle de nombreux de nos frères chrétiens c’est l’arabe. Les premières imprimeries arabes ont été faites par des chrétiens. Les chrétiens ont joué un rôle important dans le réveil de la nation arabe, au moment de la chute de l’Empire Ottoman, et du départ ensuite des puissances mandataires qu’étaient la Grande-Bretagne et la France.
Il est donc important de rappeler de manière apaisée que les chrétiens d’Orient ont leur place dans un Institut dédié au Monde arabe car ils font partie de ce Monde arabe. Il est essentiel pour eux de rester dans leur pays d’origine : ils sont chez eux depuis le début du christianisme et sont des vecteurs de paix dans des sociétés où les différentes confessions peinent parfois à cohabiter.
Alors en ce jour de vernissage, que retenez-vous de ce projet ambitieux et majeur pour les missions de l’Œuvre d’Orient ?
Je pense que ces œuvres magnifiques représentent de la part des Eglises du Moyen-Orient qui les ont prêtées à l’Institut du Monde arabe de Paris, un acte de vrai confiance et de compréhension des uns et des autres de l’enjeu qu’il y a à faire connaître cette culture qui fait partie de la civilisation mondiale.
Propos recueillis par Géraldine de Spéville pour Narthex
à voir aussi
- Notre dossier spécial « Chrétiens d’Orient » : La présentation de l’exposition ainsi que des interview inédites d’une commissaire de l’exposition et du directeur de l’Association l’Oeuvre d’Orient.