Dès le début du XXe les « Ateliers d’Art sacré », tels ceux des peintres Maurice Denis ou Georges Desvallières, renouvèlent les sources d’inspiration de l’art d’église. Dans les années d’après-guerre, « l’Appel aux grands maîtres » du Père Marie-Alain Couturier instaure un nouvel élan dans la commande d’Etat pour les édifices religieux et donne une dimension inédite à l’art du vitrail dans la vie artistique. On se tourne désormais également vers les peintres pour créer des vitraux.
Les artistes peintres, libres de ne pas penser d’abord aux contraintes techniques mais à l’expression seule de la lumière, vont avoir la grande capacité de se conformer aux souhaits des commanditaires. Ainsi à leur tour, les peintres vont participer à l’engouement pour la discipline du vitrail, obligeant les maîtres-verriers à s’adapter au langage des artistes peintres, tant par l’utilisation de nouveaux matériaux, que par l’évolution des techniques.
L’exposition Les peintres et le vitrail tente ainsi de répondre à la question suivante : la prescription picturale en verre est-elle possible ?
Le vitrail fait rayonner la lumière pour, par la beauté, révéler la transcendance » Jean-François Lagier
Avant de commencer notre visite, Jean-François Lagier, Directeur du Centre International du Vitrail, et commissaire de l’exposition, rappelle la différence majeure entre la peinture et l’art du vitrail : en peinture, ajouter de la matière, de la couleur, revient à retirer de la lumière. A l’inverse, dans l’art du vitrail, ajouter de la couleur participe à augmenter la lumière. Le verre est un « passeur » : la couleur émet une nouvelle lumière, cette lumière transformée ne change pas la matière mais la révèle. « La lumière agit sur la couleur comme Dieu qui éclaire le destin humain ».
Le vitrail est un art contemporain spécifique car il s’agit essentiellement d’œuvres commandées dont la réalisation est accompagnée des commanditaires et de la communauté dont elle va servir la liturgie.
L’enjeu, dans un tel travail de commande, est de trouver l’équilibre entre la force plastique de l’édifice et la présence du vitrail: le jeu de rayonnement de la lumière doit participer à l’aménagement intérieur du lieu, doit aider à lire plus facilement les éléments architectoniques au rythme des heures.
Pour la chapelle du collège Saint-Joseph à Reims, dont le cahier des charges exigeait que « […] la lumière soit adoucie, enrichie tout en préservant un juste lecture des colonnes […]. Le composition des verrières, par un caractère structuré, devra préserver les sentiments de légèreté, de sérénité et d’équilibre qui se dégagent de l’édifice […] » ; Jean-Paul Agosti a utilisé la propriété du verre gravé à l’acide (réservation par deux plaques de verre superposées) pour formaliser les métaphores lumineuses et poétiques de ses suites d’images.
A Saint-Riom de Plouézec : Pour Françoise Bissara-Fréreau, « la technique rejoint le sens, ils ne font qu’un. […] Dans mon atelier j’ai sculpté en cire les reliefs qui ont ensuite été moulés par le maître verrier. Ayant opté pour des vitraux moulés en creux à l’intérieur de la chapelle et plans à l’extérieur […] Les corps sont allongés pour s’inscrire dans le format très étroit des baies. Le jeu de la lumière, diffraction et réfraction, traverse les différentes épaisseurs du verre coloré dans la masse, les fait vivre, les anime lorsque l’on se déplace. On a l’impression qu’ils vous suivent de leur présence mouvante ».
Pour la réalisation des vitraux de la cathédrale Saint-Gatien de Tours par Gérard Collin-Thiébaut, les ateliers Parot ont dû faire appel à des techniques originales. « Un temps employé à chercher comment rendre au mieux ce travail informatique des maquettes, comment innover pour retrouver le décalage flou des images superposées imaginées par Gérard Collin-Thiébaut. […]» L’innovation a donc consisté à « fabriquer un nouveau verre de couleur réalisé à partir de poudres de verre déposées par lignes « imprimées » sur un verre extra-blanc compatible »
Didier Sancey voit le vitrail comme un comme « l’œil qui reçoit une information et la retransmet, un filtre entre la lumière naturelle et la lumière symbolique ». Pour lui, répondre à une commande de vitraux c’est adapter les solutions formelles et techniques de chaque projet au lieu, et se mettre au service de la liturgie. Pour les nouveaux vitraux des baies du chœur de l’église Saint-Vaast de Wallers l’artiste réalise « une œuvre contemporaine qui utilise une technique traditionnelle permettant d’obtenir les couleurs les plus belles, vives qui soient, tout en étant pérennes. J’ai en effet choisi la technique du vitrail au plomb, avec des verres antiques, et c’est la transposition du travail pictural qui est à la base du projet. »
Afin de faire jouer les vitraux comme de véritables écrans de diffusion, Udo Zembock et l’atelier allemand qui a réalisé les vitraux de la Tour médiévale « Ingjelburtoren » à Courtrai, ont choisi de thermoformer la face arrière du verre extérieur, côté charpente, cette structure lui permettant de réfracter la lumière. « J’ai fait poser les émaux sur les verres avec les mêmes gestes que le peintre [..]. Mon travail est toujours et encore une superposition de glacis, appliqué ici non plus au pinceau mais au pistolet. Le geste fondamental est resté le même ».
Le pari scénographique d’une telle exposition est de permettre aux visiteurs d’admirer avec proximité des œuvres créées pour être vues de loin. Dans les salles voûtées du XIIIe siècle, les vitraux originaux, panneaux d’essais ou épreuves d’artistes sont suspendus en parallèle des œuvres peintes qui ont servi de point de départ aux maîtres verriers, tandis qu’une bannière présente une mise en situation des pièces dans les édifices auxquels elles sont destinées.
L’installation nous permet de dépasser la conception uniquement artisanale du vitrail : en faire le tour comme on le ferait pour une sculpture, pour mieux percevoir les jeux de lumière sur chacune des œuvres, est une expérience tout aussi inédite qu’intéressante. La réussite de cette scénographie réside dans ce qu’elle résume de la fonction du vitrail : élément important en tant que marqueur de l’espace, il le délimite sans jamais l’enfermer.
Cette exposition d’une grande qualité offre plusieurs niveaux de lecture, alliant une excellente vocation pédagogique à une approche plus poussée en analyses artistiques.
Commissariat: Jean-François Lagier, directeur du centre international du vitrail.
Informations pratiques
Les peintres et le vitrail, jusqu’au 31 octobre 2015
Centre international du Vitrail
5, rue Cardinal Pie
28000 Chartres
www.centre-vitrail.org
contact@centre-vitrail.org
02 37 21 65 72
Ouvert tous les jours
Lundi – vendredi : 9h30-12h30 /13h30-18h
Samedi : 10h-12h30/ 14h30-18h
Dimanche et jours fériés : 14h30-18h
Tarif : 4 euros, réduit 3 euros
Publication
Les peintres et le vitrail, Vitraux français contemporains, 2000-2015
Edition du Centre international du Vitrail
288 p, 45 euros