La « Chapelle Grecque » – IVème siècle – Catacombes de S. Priscille, ROME
« Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu se lever son étoile et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » (…) Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue se lever les précédait ; elle vint s’arrêter au-dessus du lieu où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie. En entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe » (Mt 2, 1-12)
L’Adoration des Mages – Détail de la « Chapelle Grecque » – IVème siècle – Catacombes de S. Priscille, ROME
Les évangiles apocryphes ont enrichi le récit de Matthieu d’enjolivures multiples. Le chiffre de trois est fixé ainsi depuis Origène (185-224). Une tradition ancienne les a assimilés aux trois âges de la vie ou aux trois parties du monde venues rendre hommage au Sauveur. Trois continents sont alors connus : l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Tertullien (IIIème siècle) sembla avoir été le premier à faire de ces trois mages des rois, en référence aux Psaumes (67, 30, 71, 10) ainsi qu’à Isaïe (60, 3) : « Des nations marcherons vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton aurore ». Illi magi reges sunt (« ces mages sont des rois »), confirme Césaire d’Arles au VIème siècle. On a aussi voulu les différencier des magiciens désignés alors sous le nom de « mages ». Les noms de Gaspar, Melchior et Balthasar apparaissent au IXème siècle dans le Liber Pontificalis de Ravenne.
L’Adoration des mages – Fragment de sarcophage – IVème siècle – Musées du Vatican, ROME – (c) cliché FCL
Nous allons nous arrêter sur les premières représentations de cette scène. Le bas-relief, qui remonte à la moitié du IVème siècle, accueille la scène de la Nativité associée à l’adoration des mages. Les trois rois indiquent l’étoile située sur le toit qui couvre la mangeoire en osier qui accueille l’Enfant dans les langes. Parfois, Marie est accompagnée par une figure féminine, qui serre ses genoux avec les mains pour indiquer une forte douleur. On peut y reconnaître la sage-femme incrédule Salomé, qui est mentionnée dans les écrits apocryphes de l’Infantia Salvatoris, c’est-à-dire le Protoévangile de Jacques et l’Evangile du Pseudo-Matthieu. Dans le bas-relief sont ensuite sculptés le bœuf et l’âne et un personnage masculin, qu’il faut identifier à un prophète, peut-être Isaïe ou Balaam, ou avec un pasteur.
Le salut est offert à l’humanité entière, dans sa diversité – représentée par les trois rois. C’est le mystère du projet universel de Dieu qui a voulu que tous les hommes soient associés à la même promesse : « Ce mystère, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile » (Ep 3, 6). Il ne faudrait pas que cet aspect essentiel du mystère de la Rédemption soit perdu dans l’apparente naïveté de l’imagerie populaire. Il s’agit que tout homme se mette en marche vers la Lumière, entrant dans une quête incessante du Christ. C’est pourquoi les fidèles de la première Eglise souhaitaient représenter cette scène pour le lieu de leur repos.
L’Adoration des mages – Détail du sarcophage de Junius Bassus – IVème siècle – Musées du Vatican, ROME – (c) cliché FCL
Les Mages – Vème siècle – Mosaïque – Basilique Saint-Apollinaire-le-neuf, RAVENNE
Le signe de l’étoile apparaît donc dans l’épisode des Mages, non comme une simple anecdote biographique, mais comme la première manifestation (épiphanie) de Jésus comme Messie, Roi du monde, et ceci, dès sa naissance. La composition de la scène est empruntée à la disposition adoptée dans l’Antiquité romaine pour représenter les peuples soumis apportant leur tribut au général vainqueur, lors de la cérémonie du « triomphe ». En mettant l’histoire des Rois Mages en relation avec la prophétie de Balaam : « Je le vois – mais non pour maintenant, je l’aperçois – mais non de près: Un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se lève, issu d’Israël » (Nb 24, 17), l’art paléochrétien les présente en costume perse : bonnet phrygien, pantalon, chiton serré à la taille par une ceinture.
L’Adoration des mages – Fragment de sarcophage – Vème siècle – Musées du Vatican, ROME – (c) cliché FCL – Les chameaux apparaissent dans l’escorte des Mages à partir du Vème siècle.
Dès le IIème siècle, le passage de l’évangile de Matthieu est commenté par les Pères. Au IIIème siècle, il est présent sur les peintures des catacombes. A partir du IVème siècle, il est représenté sur les sarcophages. Ce n’est pas tant l’anecdote pittoresque qui est retenue que la signification qu’on lui donne. Puisque les « Mages » viennent d’Orient (Perse ou Mésopotamie), il s’agit de païens, c’est-à-dire pour les juifs ou les chrétiens d’idolâtres, soumis comme tels à la tyrannie de Satan. On va donc considérer les Mages comme les premiers païens à avoir abandonné les idoles pour adhérer au Christ-Sauveur.
Comme l’appellation de « Mages » les fait passer pour des magiciens et des astrologues, les chrétiens voient dans l’adoration des Mages l’abandon des pratiques magiques et astrologiques considérées comme sataniques. Face au monde antique, coutumier de ces pratiques, le jeune christianisme affiche sa franche opposition, affirmant la liberté de l’homme, récusant l’idée d’un destin fatal prétendument inscrit dans les astres. Cela fait aussi partie de la nouveauté du christianisme. Le Christ a triomphé des puissances démoniaques. Comme l’affirme Origène, à la naissance de Jésus, le Verbe incarné, « les démons perdirent leur vigueur et leur force, leur magie fut confondue et leur pouvoir cessa. » (Origène, Contre Celse, 1,50) Hilaire de Poitiers développe la même idée : « Les mages adorent l’enfant enveloppé de langes. Eux qui jadis se complaisaient dans les rites secrets de leur vaine science (l’astrologie), ils fléchissent le genou devant ce petit couché dans la crèche. » Le mystère se cache sous d’humbles apparences « Oui, ajoute-il, tout autre est ce que l’on comprend, tout autre est ce que l’on voit ! Autre est ce que perçoit l’œil, autre ce que contemple l’esprit » (Hilaire de Poitiers, La Trinité, II,27). L’épisode des Mages figure le salut, vu comme victoire du Christ sur le mal et les puissances démoniaques.
L’Adoration des mages – Fragment de sarcophage – Vème siècle – Musées du Vatican, ROME – (c) cliché FCL
Les chrétiens combinent la prophétie de Balaam (Nb 24, 17) et celle de Malachie (3, 20 – le soleil de justice) pour en voir la réalisation dans l’étoile des mages. Irénée de Lyon ajoute le commentaire suivant : « L’étoile indique clairement que l’économie du Christ selon la chair se réalisera chez les Juifs et que c’est en naissant de Jacob et de la tribu de Juda que, descendant du ciel, il accomplira cette économie (…). Sous le nom de « chef », c’est le Roi qui est désigné : il est, en effet, le Roi de tous ceux qui sont sauvés. Elle apparut effectivement, cette étoile, lors de la naissance du Christ, aux mages qui habitaient l’Orient, et c’est par elle qu’ils apprirent sa naissance. Ils vinrent alors en Judée, et c’est encore l’étoile qui les guida (…) jusqu’à ce qu’elle s’arrêtât au-dessus de sa tête, désignant ainsi aux mages le Fils de Dieu, le Christ. » (Irénée, Démonstration de la prédication apostolique, 58).
Nous possédons un témoignage encore plus ancien, celui d’Ignace d’Antioche, vers 110-130, qui, s’appuyant sur un développement légendaire de l’étoile des Mages, voit en celle-ci une manifestation du nouvel ordre cosmique inauguré par la naissance du Sauveur. Il écrit dans sa lettre aux Ephésiens : « On vit briller dans le ciel une étoile qui fit pâlir toutes les autres : son éclat était inexprimable, sa nouveauté causait la stupeur ; tous les autres astres, avec le soleil et la lune, lui faisaient cortège, mais sa splendeur effaçait celle de tous les astres réunis ; ils se demandaient dans leur trouble d’où venait cette étoile étrange, si différente d’eux-mêmes. Dès lors toute magie fut confondue, tout lien d’iniquité brisé, l’ignorance détruite, l’antique royauté renversée : Dieu se manifestait sous forme humaine, pour réaliser « l’ordre nouveau », qui est « la vie » éternelle ; le plan arrêté dans les desseins de Dieu recevait un commencement d’exécution. De là ce bouleversement universel : car l’abolition de la mort se préparait. » (Ignace d’Antioche, Lettre aux Ephésiens, 19)
L’Adoration des mages – Fragment de sarcophage d’enfant à frise continue (détail) – vers 300-325 – Musées du Vatican, ROME – (c) cliché FCL
Nous n’avons pas d’étoile pour nous guider, mais nous avons la Parole de Dieu. Nous avons à nous laisser guider par elle et à la proposer au monde. Elle nous conduit et conduit le monde au Christ. Contempler les mages qui se laissent mener et qui adorent, c’est laisser la Parole nous habiter, inspirer nos vies et nos pratiques, même si, comme eux, nous ne la comprenons pas toujours.
Sarcophage de Junius Bassus – IVème siècle – Musées du Vatican, ROME – (c) cliché FCL