La chronique de Noël (4/7) : « Une lumière est semée pour le juste »

La liturgie de Noël nous invite à contempler Dieu enfant. C'est le miracle de cette humble présence qui témoigne que le Verbe s'est fait chair. Les bergers venus l'adorer accueillent ce Dieu qui, dans le visage d'un enfant, est la chance d'une humanité plus simple et plus vraie.
Publié le 19 décembre 2012

Dieu dans notre vie, il y a toujours un enfant à mettre au monde, l’enfant de Dieu que nous sommes  » – Frère Christian de Chergé, moine de Tibhirine

Luc (2, 1-20) est le seul des Evangélistes à donner un récit complet des circonstances qui ont entouré la naissance de Jésus. Il naît au moment où un édit de César Auguste prescrit le recensement de tous les habitants de l’Empire. Chacun doit se faire enregistrer « dans sa propre ville ». Joseph et Marie se rendent donc à « la ville de David, qui s’appelle Bethléem de Judée », car Joseph est de la lignée de David. Ils ne trouvent pas de place à l’auberge. L’enfant naît dans une étable aménagée dans une grotte. Jésus, enveloppé dans de pauvres langes, est couché dans la mangeoire. L’âne et le bœuf ne sont pas mentionnés dans le texte de Luc. Leur présence dans de nombreuses représentations s’explique par l’évangile apocryphe du Pseudo-Matthieu, à partir d’un verset du livre d’Isaïe : « Un bœuf connaît son propriétaire, et un âne la mangeoire chez son maître » (Is 1,3).

Ni le jour, ni l’heure de la naissance de Jésus ne sont évoqués dans le Nouveau Testament. Il fallut attendre le IVème siècle (en 336) pour que soit choisie la date du 25 décembre comme celle de l’anniversaire de la naissance du Christ. La symbolique est forte car cette date était alors celle des fêtes païennes – qui se déroulaient du 17 au 24 décembre – célébrant la remontée du soleil à l’horizon, le sol invictus, soleil invaincu. Ainsi, les chrétiens s’adaptant à ces coutumes, choisirent-ils le 25 décembre pour fêter la naissance de la vraie lumière.

La liturgie latine désigne la célébration de la nativité de Jésus par les mots Dies Natalis Domini, « jour de naissance du Seigneur ». De là sont venues les expressions populaires pour nommer Noël : Natale en italien, Nadal dans le sud de France , puis Noël dans tous les pays de langue française.

 

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Andrea MANTEGNA, L’Adoration des bergers – vers 1455-1456 – Bois transposé sur toile, 40 cm x 55,6 cm – The Metropolitan Museum of Art, NEW YORK

 

L’iconographie de la Vierge adorant l’Enfant Jésus nu étendu sur un pan de son manteau est un thème traditionnel qui remonte aux visions de sainte Brigitte de Suède et se trouve attesté aussi en Vénétie (par exemple dans le polyptyque de Giovanni d’Alemagna et Antonio Vivarini pour l’église San Francesco Grande de Padoue, de 1447, aujourd’hui conservé à la Galerie Narodni de Prague).

Que nous dit le texte biblique :  » Il y avait dans la même région des bergers qui vivaient aux champs et qui veillaient la nuit sur leur troupeau. Un ange du Seigneur parut auprès d’eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de clarté, et ils furent saisis d’une grande crainte. Mais l’ange leur dit:  » Ne craignez point, car je vous annonce une nouvelle qui sera pour tout le peuple une grande joie : il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur. Et voici ce qui vous en sera le signe: vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche.  » Tout à coup se joignit à l’ange une troupe de la milice céleste, louant Dieu et disant :  » Gloire, dans les hauteurs, à Dieu! Et, sur terre, paix chez les hommes de bon vouloir!  » Lorsque les anges, s’en allant au ciel, les eurent quittés, les bergers se dirent entre eux:  » Passons donc jusqu’à Bethléem, et voyons cet événement qui est arrivé, et que le Seigneur nous a fait connaître.  » Ils s’y rendirent en toute hâte, et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la crèche. Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant. Et tous ceux qui les entendirent furent dans l’admiration de ce que leur avaient dit les bergers. Quant à Maire, elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant dans son coeur. Et les bergers s’en retournèrent, glorifiant et louant Dieu de tout ce qu’il avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été dit.  » (Lc 2, 8-20). Tout en restant fidèle à certains points développés dans l’évangile, l’inspiration et le talent de Mantegna nous entraînent à la découverte d’une véritable méditation à partir d’une vision toute personnelle.

 

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Andrea MANTEGNA, L’Adoration des bergers (détails) – vers 1455-1456 – Bois transposé sur toile – The Metropolitan Museum of Art, NEW YORK

 

Les personnages ont des allures d’acteurs concentrés sur leur rôle : le caractère théâtral de la scène confère à chacun une certaine noblesse et met en valeur la spécificité des genres et des registres expressifs, aussi bien des protagonistes que des comparses. En dépit de leurs vêtements déchirés et de leurs traits d’une laideur manifeste, les deux bergers qui viennent adorer l’Enfant Jésus d’un mouvement impétueux, gravissant le sentier escarpé, comme happés par une force irrésistible, deviennent les acteurs principaux de la scène. De l’autre côté, devant les ruines d’une habitation qui symbolise le monde ancien désormais caduque avec la naissance du Christ, saint Joseph, appuyé d’une manière peu confortable sur un tronc noueux, est plongé dans un sommeil profond. Au fond à droite, deux paysans s’approchent avec un panier d’œufs et un poulet pour réconforter la parturiente.

Le rocher sombre et les sinuosités du fleuve mènent vers une campagne verdoyante et lumineuse, parsemée – Mantegna veut ici rivaliser avec les maîtres flamands – de fines silhouettes de bergers, ces « homines perbrevi statura » que l’on admire dans les arrière-plans de Van Eyck. Un paysage si florissant, estompé à l’horizon dans un flou atmosphérique, pourrait paraître impensable pour un artiste qui a l’habitude de véritable délires géologiques et de décors âpres et visionnaires.

 

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Andrea MANTEGNA, L’Adoration des bergers (détail) – vers 1455-1456 – Bois transposé sur toile – The Metropolitan Museum of Art, NEW YORK
 

La dilatation du ciel et la mise en place d’une ligne d’horizon très nette, vers laquelle converge une succession de plans qui vont en se dégradant, sont autant d’indices de la maturité conquise par Mantegna dans le rendu de la perspective et des effets atmosphériques.

Mantegna témoigne, par cette œuvre, d’une volonté de créer une œuvre précieuse accomplie dans les moindres détails , une œuvre dans laquelle les rehauts d’or d’une grande finesse sur le manteau azur de la Vierge, sur les nuées, les séraphins et les chérubins de bronze qui font office de trône, s’accordent admirablement avec le crépitement de cette lumière pure sur les troncs coupés, les feuilles charnues des orangers, l’effritement des rochers et les reflets à la surface de l’eau. Il est évident que la lumière est plus que jamais associée au Sauveur nouveau-né : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre une lumière a resplendi » nous dit Isaïe dans le passage lu pendant la liturgie de la nuit de Noël et dans lequel il annonce le prince de la paix.

 

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Andrea MANTEGNA, L’Adoration des bergers (détail) – vers 1455-1456 – Bois transposé sur toile – The Metropolitan Museum of Art, NEW YORK
 

Le spectacle luxuriant du paysage a une valeur iconographique profondément évocatrice : toute la nature se réveille et renaît dans le Christ à un nouveau printemps ; un tronc qui paraît mort, dont les racines s’enfoncent entre les cailloux, se transforme en un oranger vigoureux, cependant que de nouveaux bourgeons apparaissent sur l’arbre étêté qui domine l’ouverture vers l’ample vallée. Le contraste entre arbor malus et arbor bonus est un thème iconographique traditionnel hérité de l’époque médiévale. Un arbre est constitué d’un tronc et de branches, et ce tronc fait fonction de lien entre la terre où il a ses racines et le ciel où il est dirigé. L’arbre est donc un symbole de la communion entre les deux mondes : celui d’en haut où habite la divinité et celui d’en bas où habitent les humains. Il y a deux arbres dans le jardin d’Éden, qui symbolise le bonheur auquel l’humain est appelé : l’arbre de vie, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal : « Il fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect agréable et aux fruits délicieux. Il mit au centre du jardin l’arbre de la vie, et l’arbre qui donne la connaissance de ce qui est bon ou mauvais » (Gn 2,9). Jésus est le nouvel Adam et il rachète l’humanité du péché introduit dans le monde par le premier Adam : « Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes , et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien » (Tt 2, 14).

 

Noël célèbre une victoire définitive qu’on ne peut enlever à quiconque. Par Jésus, Dieu est entré dans notre histoire ; mort et ressuscité, il donne ainsi un avenir à tout être humain. Voilà la vraie victoire : une espérance qui nous fait vivre de cette naissance comme d’une promesse pour nous-même et pour tout être humain.

 » Dieu dans notre vie, il y a toujours un enfant à mettre au monde, l’enfant de Dieu que nous sommes  » – Frère Christian de Chergé, moine de Tibhirine

 

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L’Adoration des bergers de MANTEGNA, telle qu’elle est présentée au Metropolitan Museum of Art de NEW YORK – (c) cliché MMA

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