Marc Chagall à Nice, Une Bible en couleurs

On connaissait la série de tableaux du Message Biblique de Chagall, peinte entre 1956 et 1966 et conservée au Musée national Marc Chagall à Nice. 35 ans plus tôt, l’éditeur Ambroise Vollard proposait à Marc Chagall de réaliser des gravures pour illustrer la Bible. Ce sont cette fois les quarante gouaches inaugurant les recherches graphiques de l’artiste pour ce projet, qui font l’objet d’une exposition jusqu’au 9 mars 2015 au musée niçois. Les gouaches, tout juste restaurées, sont accompagnées d’une sélection des gravures qui en ont résulté. Montré parmi les tableaux du Message Biblique, cet ensemble permet de mesurer combien Chagall avait fait de la Bible le grand livre universel qui renferme, selon son expression, « le destin du monde ».
Publié le 03 février 2015

A la demande d’Ambroise Vollard, marchand d’art et éditeur de livres d’artistes, Marc Chagall s’attèle en 1931 à la réalisation d’une centaine d’eaux-fortes pour illustrer la Bible. L’artiste peint quarante gouaches préparatoires destinées aux livres de la Genèse et de l’Exode en 1930 et 1931, et commencera sa suite gravée en 1931. Ce projet éditorial magistral n’aboutira que vingt-six ans plus tard : l’éditeur Tériade publie en 1956 un ouvrage monumental illustré de 105 planches gravées par Marc Chagall.

Depuis ma première jeunesse, j’ai été captivé par la Bible. Il m’a toujours semblé et il me semble encore que c’est la plus grande source de poésie de tous les temps.» Marc Chagall (1)

A peine la commande de Vollard confirmée, Chagall entreprend un voyage dans la Palestine sous mandat britannique en 1931. Fasciné par les lieux bibliques, l’artiste y réalise un ensemble de peintures, qu’il appellera plus tard des « notes ». Il retient de la production des artistes de l’école d’art de Bezalel (à Jérusalem), la massivité et le dépouillement des silhouettes, inspirées des Bédouins, pour élaborer un nouveau type de figures bibliques. Aux images rapportées de ce voyage, se mêle la vision à la fois tragique, prosaïque ou onirique du cycle de Noé, d’Abraham, de Joseph et de Moïse inspirée par la Torah et son enfance juive en Biélorussie.

La lecture singulière de l’univers biblique, révélée dans ces quarante gouaches, montre combien il importait pour Chagall d’entrer dans la longue tradition liée à la Bible. L’artiste affirmait que, si pour illustrer Les Âmes mortes de Gogol il était complètement libre d’utiliser, seuls, sa connaissance et son imagination,  illustrer la Bible demandait à traiter 2000 ans de création. En s’appuyant sur cette «tradition» Chagall s’inscrivait à contre-courant des artistes du XXe siècle constamment à la recherche de choses inexplorées. Mais pour Chagall, l’art doit s’attacher à une dimension spirituelle: « Il est passé, le bon vieux temps où l’Art ne se nourrissait que des éléments du monde extérieur, de la forme, des lignes et des couleurs ». Selon lui, « Tout nous intéresse – […] le monde intérieur, irréel, du rêve et de la fantaisie ». (2)

Abraham prêt à immoler son fils 1931, huile et gouache sur papier, 66 x 51,5 cm, musée national Marc Chagall © RMN – Grand Palais / Adrien Didierjean © Adagp, Paris 2015

Chagall creuse son sillon avec un langage qui aura pris naissance dans le judaïsme mais qui regarde vers le christianisme. Il se voit comme un « ange peintre » qui doit délivrer un message de paix entre les nations et entre les religions. De plus, le peintre trouve dans la Bible, au-delà de cette dimension symbolique et transcendantale, une dimension purement littéraire intemporelle. « A travers la sagesse de la Bible, je vois les évènements de la vie et les œuvres d’art. Une vraie grande œuvre est traversée par son esprit et son harmonie » (3) ; « La Bible pour moi c’est de la poésie toute pure, une tragédie humaine (4) ; « Je me suis référé au grand livre universel qu’est la Bible. Dès mon enfance, elle m’a rempli de vision sur le destin du monde et m’a inspiré dans mon travail. Dans les moments de doute, sa grandeur et sa sagesse hautement poétique m’ont apaisé. Elle est pour moi comme une deuxième nature ». (5)

Ainsi, lorsqu’il aborde la Bible c’est avant tout comme une « poésie toute pure ». Illustrant sans détour des passages précis de la Bible, il montre chaque scène dans sa richesse naturelle sans ajouter d’éléments. Comme si l’évènement biblique contenait une expressivité suffisante. Comme dans ce corps nu, aux mouvements sinueux, d’Isaac sur le bucher et dans les traits de son visage, doux et sereins (Abraham prêt à immoler son fils, 1931). Ou encore dans la blancheur de la main démonstratrice de l’ange de Noé reçoit l’ordre de construire l’Arche : signal lumineux qui, dans les ténèbres envahissantes, exprime une possible éclaircie en montrant la voie où Noé va devoir s’engager pour la survie de l’humanité.

Noé reçoit l’ordre de construire l’Arche, 1931, gouache sur papier, 64 x 51 cm, musée national Marc Chagall © RMN – Grand Palais / Adrien Didierjean © Adagp, Paris 2015

Les tonalités retenues pour chaque scène témoignent de la conception que l’artiste a du rôle des couleurs et des techniques employées : elles ne sont pas là pour être soumises au contrôle de l’intellect, de la raison, mais pour toucher directement à la sensibilité.
Dans Aaron devant le chandelier, Chagall rend compte du sentiment de repentance sincère du personnage avec une admirable économie de moyens. L’ensemble aboutit à une image déterminante qui nous invite à un face à face essentiel. L’artiste rompt avec la rigidité du traitement des passages bibliques et retient dans la Bible la joie, l’espérance, le monde à venir et le temps de la réconciliation.


1. Discours d’inauguration du musée de Nice prononcé par Marc Chagall, le 7 juillet 1973
2. Marc Chagall, « Quelques Impressions sur la peinture française », Renaissance : Revue trimestrielle publiée en langue française par l’Ecole libre des Hautes Etudes de New York, II-III, 1944-1945
3. Werner Schmalenbach et Charles Sorlier, Marc Chagall de Draeger, Paris, Draeger Editeur, 1979, p.193
4. Ibid., pp198-199
5. Ibid., p193

Informations pratiques

Marc Chagall. Des couleurs pour la Bible, jusqu’au 9 mars 2015
Musée national Marc Chagall

Avenue du Docteur Ménard
06000 Nice
T  : + 33 (0) 4 93 53 87 20
Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10 h à 17 h
Collection permanente: Plein tarif 8 €/Tarif réduit 6 €
Majoration d’un ou deux euros dans le cadre des expositions temporaires

L’exposition est accompagnée d’une publication : Marc Chagall. Des couleurs pour la Bible. Elle s’attache à explorer l’importance de la Bible dans l’œuvre de Chagall et à le replacer dans un vaste mouvement de renouveau de l’art sacré du XXe siècle.

21,5×27,5cm, 120 p, 60 illustrations, 25€, éditions Artlys

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