Chercher à dire, à travers la matière, la chanson du vent, l’ondoyante floraison du nuage, la force de la vague, la promesse de la germination.
Au commencement était la terre. Et la terre était vide et vague. Et le souffle parcourant sa surface en creusa les bords, modelant un bol, une jarre. Cela plut à Gisèle Buthod-Garçon : elle vit que ceci la comblait et que, toujours, il lui faudrait remettre sur le métier son ouvrage. Tenter de façonner ce vide pour l’animer, tel un corps mêlé d’âme enveloppé d’une peau. Elle ne cessa plus, dès lors, d’insuffler vie à la terre, avec le temps délaissant le contenant pour privilégier la sculpture. Cherchant à dire, à travers la matière, la chanson du vent, l’ondoyante floraison du nuage, la force de la vague, la promesse de la germination. Aspirant à signifier, dans l’argile fragile, la ténacité, la quiétude, la connivence, mais aussi le silence et le besoin secret du retrait. Désireuse d’exprimer, enfin, dans la terre parfois lourde et pesante et collante, la sève de la jeunesse, la vulnérabilité de la chair, l’intemporalité des choses malgré le temps qui passe.
« Tandis que le feu agit, l’homme se consume (et) le feu rend l’oracle », écrivait Paul Valéry
Tel est le jeu sérieux auquel s’adonne Gisèle Buthod-Garçon, sur cet âpre territoire d’amandiers, de chênes verts et de pins rudoyé par le Mistral qui l’a forgée. Cette terre qui la relie à celle, natale, où elle grandit auprès de parents éleveurs près de Salon-de-Provence. Elle se désole des normes de sécurité imposant un débroussaillage forcené destructeur de nature, dit aimer la violence des éléments, s’y confronte dans sa création : la terre ne va pas sans le feu. « Tandis que le feu agit, l’homme se consume (et) le feu rend l’oracle », écrivait à ce propos Paul Valéry (1). Le travail est physique, pratiquer le raku américain impose une joute éprouvante avec les flammes. Elle en est l’intime. Elle dit aussi chercher la justesse du geste: le hiératisme de ses sculptures en porte la trace, l’élégance des formes se dessine dans l’espace; quelque chose d’altier, aussi ardent que pudique.
Cette nécessité existentielle qui l’incite à creuser son sillon à son rythme, affinant le langage qu’elle s’est créé pour témoigner de sa façon d’habiter le monde…
Ainsi Le Pèlerin (2008) se tient-il droit, tout au plus légèrement voûté par l’effort. La sobriété de son allure évoque la nudité d’une chair brunie par les intempéries ou la simplicité d’une robe de bure. L’économie de moyens dit l’essentiel de cette oeuvre tendue entre dépouillement et vulnérabilité du corps, mais aussi dynamique opiniâtre de l’Homme qui marche: assemblage en trois parties – jambes à peine ébauchées sous un tronc unique, buste incliné délicatement renflé suggérant la jointure des mains (en prière ?), visage aux traits indistincts mais à la nuque tendue – tons terreux, craquelures et raccords de terre évocateurs d’une peau marquée, comme suturée. La technique vient en renfort : sa terre réfractaire, cuite au gaz, a subi l’enfumage exigé par le raku pour un aspect « vieilli ». Sans doute ce cheminement parle-t-il aussi de celui de l’artiste, des voyages tant prisés en Afrique et en Asie, de cette nécessité existentielle qui l’incite à creuser son sillon à son rythme, affinant le langage qu’elle s’est créé pour témoigner de sa façon d’habiter le monde: « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait » écrivait justement Nicolas Bouvier (2).
Lentement, Gisèle Buthod-Garçon façonne une œuvre incarnée qui s’élabore entre réminiscence du corps, mise à distance de ses émotions et reflets du territoire qui l’entoure, dans un va-et-vient continu. Un art de paradoxes, entre figuration et dé-figuration plus qu’abstraction, porteur d’une dialectique subtile entre « un ordre à découvrir et un désordre à surprendre » (3). En quête, peut-être, d’une harmonie à jamais instable, toujours à conquérir, insaisissable comme le flux de la Vie.
Odile de Loisy
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(1) Paul Valéry, Pièces sur l’art, Gallimard, 1934.
(2) Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Ed. La Découverte, 1985.
(3) Catalogue d’exposition : Jacqueline Lerat, L’être et la forme, Ed. Sèvres-Cité de la céramique, 2012.
Pour en savoir plus :
« Gisèle Buthod-Garçon: La terre, simplement », Prisme Editions, catalogue d’exposition au Centre Keramis, La Louvière, Belgique, 2018.
Atelier de Gisèle Buthod-Garçon (Gard) :
Route de Jols
207, chemin d’Uzès à la Bruguière
30700 St Quentin la Poterie
tél : 04 66 03 67 08 – 06 20 86 71 96
Actualité d’exposition de Gisèle Buthod-Garçon :
Centre céramique de La Borne (Berry) : exposition « Trilogie +1 »
du 12 octobre au 19 novembre
La Borne – 18250 Henrichemont
tél : 02 48 26 96 21 – contact@laborne.org – www.laborne.org
Toutes les informations pratiques pour visiter l’exposition en cliquant ici.