Narthex : Vous êtes à l’origine de ce qui s’appelle aujourd’hui le « département d’art sacré » du SNPLS. Comment les choses se sont-elles passées ? Existait-il avant votre arrivée une instance qui s’occupait des questions d’art ?
Renée Moineau : Il y avait en effet un comité, qui n’avait pas d’existence juridique, qui fut actif de 1967 à 1972 si mes souvenirs sont bons. C’était surtout un lieu de recherche dans le domaine de l’architecture : on trouvait dans ce comité des architectes comme Arsène-Henry par exemple. C’est monseigneur de Vaumas qui dirigeait tout cela. Il était installé au 106 rue du Bac à Paris.
Narthex : Quel était son rôle ?
R. M. : On peut résumer son action dans deux domaines : une fonction de réflexion et de conseil, et une recherche de financements pour aider les diocèses qui construisaient de nouvelles églises.
Narthex : Un peu à l’image des Chantiers du Cardinal ?
R. M. : Oui, mais étendus à toute la France, les Chantiers, c’était seulement pour Paris et sa zone apostolique.
Narthex : Comment êtes-vous arrivée ?
R. M. : C’est Jacques Cellier qui m’a recrutée. Il lui apparaissait nécessaire qu’un secteur art sacré existe au sein du CNPL, en particulier pour rendre fructueuses les relations avec les pouvoirs publics.
Narthex : Il s’agissait, à l’époque, de mettre en application les réformes liturgiques du concile ?
R. M. : C’était plus large que cela. Il est vrai que la tâche principale du secteur art sacré (appelons-le comme ça) était à l’époque : l’aménagement des églises. Mais ce secteur était souvent contesté par les diocèses, il l’est toujours ici ou là : « de quoi se mêlent-ils ? Nous, les diocèses, on peut bien se débrouiller seuls ! » Il ne s’agissait pas de chapeauter les diocèses mais de les aider dans leur réflexion et leurs décisions : « c’est seulement si vous le désirez qu’on y va. »
J’ai toujours joué une carte très importante : en France, on ne peut pas toucher aux églises si on n’est pas en rapport avec les responsables pastoraux, mais aussi les mairies, les architectes des bâtiments de France (ABF), les monuments historiques, le ministère de la Culture.
Lorsque je suis arrivée, je n’ai trouvé aucune archive, je n’y connaissais rien, je débarquais dans un monde nouveau pour moi, il me fallait tout apprendre.
Narthex : Et c’est vous, qui n’y connaissiez rien, qu’on est venu chercher ?
R. M. : J’étais à l’époque secrétaire du cercle saint Jean-Baptiste, créé par les PP. Lebreton et Daniélou pour approfondir la question de la rencontre avec les religions non chrétiennes. A ce titre, j’avais organisé un voyage en Extrême-Orient dont Jacques Cellier faisait partie. Il a dû apprécier mon travail, j’imagine. « Accepteriez-vous d’être secrétaire générale adjointe du CNPL ? Je prépare mon départ, je souhaite qu’il y ait un laïc comme secrétaire adjoint pour l’administration. » Je me suis dit « pourquoi pas ? » Après un temps de réflexion, j’ai dit oui mais en ajoutant : « Il faut me donner autre chose que l’administration parce que ce n’est pas rigolo votre proposition ! » C’est ainsi que m’a été confié ce comité puisqu’il n’y avait personne. J’ai réuni les anciens membres du comité dont on parlait précédemment, qui étaient ce qu’on appelait à l’époque les « régionaux d’art sacré ». J’avais le sentiment que certains cherchaient à m’endoctriner. On a démarré comme cela. En principe il devait y avoir un responsable d’art sacré dans chaque diocèse.
Narthex : Quelle a été votre tâche au début ?
R. M. : Prendre le pouls de ce qui se faisait : certaines régions étaient actives, cela dépendait, comme toujours, des responsables et de leurs capacités à l’action. J’ai trouvé dans la région centre-est un animateur merveilleux originaire de Bourg-en-Bresse. Il existait déjà dans cette région un congrès régional d’art sacré qui réunissait tous les diocèses centre-est, de Chambéry à Viviers, Grenoble, Lyon etc. J’y suis allée, cela m’a créé des relations. Selon ce que l’on cherchait à Paris, les responsables des pouvoirs publics (ABF, monuments historiques, archivistes, conservateurs des objets mobiliers) étaient invités.
Narthex : Il est vrai que, dans ce domaine, les relations personnelles sont fondamentales.
R.M. : Cela a été beaucoup discuté au départ. Dans les statuts de commissions d’art sacré que nous avons élaborés et soumis aux évêques, nous n’avons pas recommandé que des représentants des responsables civils en fassent partie. Nous avons souhaité qu’ils soient consultés et même invités en observateurs. On ne voulait pas les rendre juges et parties. Certaines commissions l’ont fait, d’autres non, cela dépend de la qualité des relations. J’insiste sur l’importance de relations humaines.
Une anecdote : Mgr Carrière, qui a été longtemps l’évêque de la commission épiscopale qui suivait l’art sacré, homme sympathique et agréable, me dit un jour : « Mademoiselle, un de mes confrères se demande comment faire avec l’architecte des monuments historiques qui le fait enrager. Que puis-je lui répondre ? » « Dites-lui de l’inviter à déjeuner, vous verrez, tout ira bien après ». Il a suivi mon conseil et tout s’est arrangé. Cette anecdote nous enseigne que les responsables aux différents niveaux ne se rencontrent pas, ne se connaissent pas. Ils sont tous responsables de la même cathédrale et ils ne se voient jamais. Ce n’est pas admissible. Pour aider les commissions diocésaines, nous avions publié quantité de petites fiches qui proposaient un mode d’emploi sur ces questions.
Narthex : Existait-il une collaboration entre les départements du SNPLS ?
R. M. : J’ai toujours joué la carte de la communication : à chaque réunion d’équipe, je présentais mes préoccupations. Quand j’organisais des visites, j’invitais tous ceux de l’équipe qui voulaient venir.
Narthex : Avez-vous des exemples de chantiers auxquels vous avez travaillé ensemble ?
R. M. : Inévitablement. Lorsque j’ai créé la revue Chroniques d’art sacré, en 1977, j’ai constitué un comité de rédaction. Des membres du CNPL, comme Jean-Yves Hameline par exemple, en faisaient partie. Je suggérais des achats pour la bibliothèque ; j’ai toujours intéressé les bibliothécaires avec qui j’ai toujours eu de très bonnes relations.
J’étais également régulièrement invitée aux réunions de la commission épiscopale de liturgie, non pas à l‘ensemble des réunions mais cela me permettait à chaque fois de communiquer aux évêques ce que j’avais à leur dire.
Encore une anecdote : lassée de raconter un peu la même chose aux évêques de la commission, je leur ai proposé, un jour, d’organiser une rencontre entre eux-mêmes et les artistes. J’ai donc invité une dizaine d’artistes, j’avais accroché aux murs tout ce que je pouvais. C’est ainsi que nos évêques ont pu rencontrer Alberola, Aurélie Nemours, Georges Jeanclos, Geneviève Asse… Le cardinal Lustiger était venu, les membres du comité national étaient présents aussi.
Narthex : Y-a-t-il eu des suites à cette rencontre ? Commandes, par exemple ?
R. M. : On a publié un compte-rendu dans la revue. Mais c’était plus dans le but d’une prise de conscience que dans un but directement pratique.
Narthex : Vous avez été un peu pionnière dans ce domaine du lien entre l’Eglise et les artistes : aujourd’hui cela semble plus naturel : les Bernardins…
R. M. : Il me semble qu’il y a un peu de recul aujourd’hui. J’étais régulièrement invitée, comme observatrice, aux réunions de la commission supérieure des Monuments Historiques. J’aurais préféré que ce soit Michel Moncault qui s’y rende. Mais aujourd’hui il n’y a personne.
Narthex : Concrètement, quelles ont été les actions de ce comité national d’art sacré ?
R. M. : Le comité se réunissait trois fois par an pendant deux jours : nous prenions connaissance de ce qui venait des diocèses et des régions, j’informais le comité des questions en cours. C’est ainsi que nous avons préparé certaines plaquettes, ou rédigé certains statuts.
Narthex : Les régionaux participaient à ces réunions ?
R. M. : Oui, mais j’ai toujours refusé de faire entrer dans ce comité des personnes en poste dans l’administration. Elles ont été régulièrement invitées, elles venaient, et participaient pleinement à nos échanges.
Une année, j’ai invité tous les curés des cathédrales de France. L’idée m’était venue du fait que, dans les années 80, j’avais pris conscience que peu d’évêques s’intéressaient vraiment à leur cathédrale. Du côté du ministère, j’entendais que l’Eglise n’était plus vivante, que les cathédrales étaient des musées. Nous devions redresser la situation : j’ai visité pratiquement toutes les cathédrales de France, nous en avons réuni les curés, nous avons publié plaquettes et articles. C’est ainsi qu’il faut prendre les choses à bras le corps.
Autre exemple : nous avons organisé à Lyon (Francheville) une rencontre qui regroupe l’ensemble des responsables nationaux et régionaux : liturgie, art sacré et musique. J’en profitais pour présenter des créations. Nous avions loué un camion pour exposer dans la grande salle de Francheville un autel, une grande tapisserie de Léon Zack entre autre.
Narthex : Vous avez suivi un certain nombre de chantiers : certains vous ont marquée, en bien ou en moins bien. Comment se passaient les choses avec les personnes locales, avez-vous des exemples ?
R. M. : J’ai peu suivi de chantiers complètement. On me demandait mon avis, ou des conseils et après on faisait souvent ce qu’on voulait. Quand vous avez affaire avec un curé qui n’y connait rien et qui s’en remet à un vicaire qui ne s’y intéresse pas, cela ne peut donner de bons résultats. J’ai connu des cas comme cela. Mais dans le cas de Lille, par exemple, une collaboration exemplaire ne peut donner que de bons résultats. Cela dépend beaucoup des personnes en place : responsables et communautés chrétiennes locales.
Le concile Vatican II, dans sa réforme liturgique, demandait de nouveaux aménagements, cela a créé un mouvement et des intérêts.
Narthex : Vous avez participé activement à ces aménagements ?
R. M. : Il n’existait en France aucune formation sérieuse. Aujourd’hui les choses ont évolué. Quand, au lendemain du concile, Mgr Gilson, évêque du Mans, a appelé les artistes pour travailler avec lui à l’aménagement de la cathédrale, il n’y eut pas de réponses. C’est l’architecte des monuments historiques qui s’en est chargé avec un résultat qui n’est pas idéal.
J’ai connu aussi des échecs. Le plus caractéristique que je connaisse est celui de Bussy-Saint-Georges, dans le diocèse de Meaux. En effet, quand je suis arrivée au CNPL, il m’a semblé nécessaire d’appartenir à une commission diocésaine d’Art Sacré : Meaux étant assez proche de Paris, je suis restée au service de ce diocèse durant 30 ans.
Bussy-Saint-Georges était un tout petit village. Mais la proximité d’Eurodisney a entraîné sa croissance rapide. Il fallait envisager la construction d’une nouvelle église. Une équipe composée de personnes locales a été constituée pour réfléchir au projet : des laïcs, de spécialités diverses mais convergentes. J’y ai été naturellement associée. Lorsque la question de l’architecte s’est posée, j’ai proposé un mini-concours. Ne connaissant pas personnellement d’architectes, nous avons rendu visite aux agences qui nous étaient conseillées.
Nous avons proposé à l’évêque une liste des trois noms que nous avions retenus. Celui-ci nous a mis en relation avec le « polytechnicien » qu’il connaissait qui nous a demandé d’élargir la recherche à la France entière, ce que nous avons fait. Puis nous avons mis en place un jury, présidé par Yves Boiret, grand architecte des monuments historiques. Chacun des candidats a bien joué le jeu : ils ont présenté leurs maquettes qui ont été exposées dans la sacristie de l’ancienne église. A la vue des projets, l’évêque a tout refusé et a dit : «Nous prendrons l’architecte de la ville. » J’ai immédiatement donné ma démission ainsi que le P. Tony Wirst qui était le responsable diocésain de liturgie.
Quelque temps plus tard, on est revenu nous consulter pour l’aménagement liturgique : sans rancune, on a accepté d’y aller mais on s’est rendu compte que tout était décidé d’avance. Quand j’ai organisé le colloque architecture d’aujourd’hui, patrimoine de demain, l’architecte qui avait construit cette église ayant pris connaissance de nos réflexions et regardé les plans proposés nous a dit : « si j’avais participé à tout cela, cette église ne serait pas ce qu’elle est. » Voilà une bien intéressante expérience ! Je crois que les évêques ne s’entouraient pas des personnes vraiment compétentes, tant sur le plan artistique, liturgique que financier.
Narthex : Voilà encore un exemple de manque de concertation.
R. M. : De nombreux architectes étaient parfaitement capables de présenter un très beau projet. Pour eux c’est un rêve de construire une église. Mais ils faisaient – je parle d’il y a 20 ou 30 ans – ce qu’ils connaissaient, c’est-à-dire en se référant à l’histoire de l’art et de l’architecture. Ils ne connaissaient pas les réalités liturgiques et les manières contemporaines de célébrer.
Les gens d’Eglise ne savent pas ce qu’est établir une commande. Mais les artistes ont aujourd’hui l’habitude des commandes : ils aiment la contrainte. Dans les années 80, j’avais commandé une saint Thérèse d’Avila de façon assez précise ; la contrainte semblait insupportable aux artistes de l’époque. Ils en ont compris le bénéfice après coup. Aujourd’hui, je suis émerveillée par la manière dont les artistes ont cherché à se mouler dans notre projet à partir du livre de Job. En trente ans, les choses ont complètement changé.
Narthex : Ce travail avec les artistes autour du livre de Job, une forme « d’évangélisation » de artistes ?
R. M. : Mais non, on n’évangélise pas. Je suis opposée à cette expression. Je n’ai jamais employé ce mot. Nous avons veillé dans ce travail, à réunir des personnes de générations, d’expression artistique, d’origine, d’âge et même de religion différente. Je vous assure que le travail accompli est proche de l’évangélisation, mais ce n’est pas ainsi que j’ l’appellerais. Parlons de murissement, de prise de conscience du mystère. Ce livre de Job est un défi pour l’espérance.
Narthex : Si vous le voulez bien, parlons de la revue Chroniques d’art sacré ?
R. M. : Je vous ai dit que, quand je suis arrivée, je n’ai rien trouvé. Au cours de mes rencontres dans les régions et les diocèses, je me suis rendu compte qu’il fallait créer un trait d’union. La revue Art Sacré s’était arrêtée en 1969 et la revue Art d’église en 77 ou 78. Lorsque le comité d’art sacré a été relancé, nous envoyions une lettre avec le compte-rendu de nos réunions. Mais il n’existait plus aucune revue en France. Il y en avait encore une en Espagne (qui n’a plus duré longtemps), une en Autriche (mais qui ne traitait pas seulement d’art sacré), celle de Trêves en Allemagne, et Arte christiana en Italie mais qui poursuivait un objectif différent.
Mon idée de départ était vraiment de créer un trait d’union entre les diocèses. Nous étions au CNPL, les questions d’aménagement liturgique étaient donc primordiales. D’autre part, comme l’Eglise est source de création artistique, nous nous concentrions essentiellement sur l’art contemporain. Des revues de conservation du patrimoine existent, ce n’était pas notre but d’en rajouter une nouvelle. Mais nous ne nous interdisions pas de parler de patrimoine, bien sûr. Mais nous étions dans une dynamique de création : le ministre de la culture de l’époque, Jean-Philippe Lecat disait : « une année qui ne crée pas est une année qui meurt ! »
Après Vatican II, les questions de liturgie et de création d’aménagements contemporains se rejoignaient. Nous avons créé la revue Espace, mais ça n’a pas été très heureux. En 1983, il a été décidé d’arrêter cette publication. Avec le P. Frédéric Debuyst, nous avons insisté pour que quelque chose existe. On a relancé la revue sous le titre Chroniques d’art sacré, mais qui ne comportait plus que 16 pages au lieu des 48 précédentes. Puis au fil des années, pour correspondre efficacement à l’importance de ces questions d’art et de liturgie, la revue s’est étoffée, plus illustrée, plus attractive.
Sans doute aurait-il fallu faire davantage pour faire connaître ces Chroniques : publicité, contacts, promotions diverses. Il aurait fallu un service de presse, de marketing, de communication, que sais-je ?
Narthex : Sans doute savez-vous qu’il est souhaité de lancer le chantier de numérisation d’Espace et des Chroniques d’art sacré ?
R. M. : Il serait utile de relire tout cela, mais les numéros sont de qualité diverse, faut-il tout numériser ? Les tirés à part sont tous intéressants.
Narthex : La recherche s’intéresse à la totalité de ce qui a été publié. C’est important de disposer de l’ensemble.
On trouve dans la revue les contributions de grands colloques que vous avez organisés ; Quel a été pour vous le plus marquant ?
R. M. : Avignon, c’est clair ! Nous visions essentiellement le ministère de la Culture. Je voulais que le ministère ait l’occasion d’entendre l’Eglise. On a invité les grands ténors du côté de l’Eglise : Mgr Jounel, le père Gy, Jean-Yves Hameline. Du côté du ministère, ils ont vraiment joué le jeu avec le directeur de cabinet du ministre et Yves Boiret. J’ai eu la présence de grands inspecteurs, de grands architectes des monuments historiques. Les commissions diocésaines d’art sacré étaient présentes à 70%. Le titre du colloque était Espace et célébration.
Narthex : Vous avez souvenir du programme ? C’était en quelle année?
R. M. : En 1978. « Fonctionnement de la célébration » par Jean-Yves Hameline, « désaffection et utilisation des églises et chapelles » par l’inspecteur général Auzas (un sujet prémonitoire !), « Espace et célébration comme question théologique » par le P. Jounel (mais c’est le P. Gy qui a lu sa communication, l’auteur étant malade), « La fonction sanctuariale » par Jean-Yves Hameline, « Héritage culturel et création artistique » par Yves Boiret, puis une communication sur le problème des vols dans les églises. On avait déplacé tout le congrès à Sénanque, à une trentaine de kilomètres, pour une célébration.
Narthex : Une célébration sans doute un peu particulière ?
R. M. : Oui, une célébration déambulatoire : on a commencé dans le cloître, puis on est entré dans l’église, puis monté à l’autel après. Nos inspecteurs des monuments historiques en ont été saisis !
Des œuvres d’art ornaient le Palais des Papes : dont le Vasarely au fond de la grande salle.
Narthex : Ces communications ont été publiées, bien sûr, et cela a dû renforcer les liens entre les différentes parties ?
R. M. : Evidemment. Puis il y a eu en 1994 le grand colloque de Reims qui a aussi beaucoup marqué le ministère. Certains s’en donnaient à cœur joie pour proclamer que, de toute façon, on ne touchait à rien dans les cathédrales !
Narthex : En fait, toutes ces questions ne se posent-elles pas encore aujourd’hui ?
R. M. : Absolument. Il faut bien se dire que chaque église est un cas d’espèce. L’aménagement liturgique dans l’esprit de Vatican II dans un édifice ancien conçu pour une autre manière de célébrer était pour certains une révolution terroriste. Dans une petite église disposée comme un autobus, on ne peut pas faire grand-chose.
Voici encore une anecdote : il s’agit de la cathédrale de Beauvais, dont Yves Boiret avait la charge à l’époque. Il me montre ses plans, j’en ai été catastrophée : il avait laissé en place tous les autels en rajoutant le sien : cela faisait 5 autels à la file ! La réunion de la commission supérieure des monuments historiques promettait d’être difficile.
Ces réunions sont souvent le lieu de véritables psychodrames. On passe la parole successivement à chaque membre de ladite commission. Puis, quand tout le monde a donné son avis, vient mon tour. Mademoiselle Moineau n’avait rien à dire car ni l’évêque ni le curé de la cathédrale n’étaient présents ! C’était tout de même d’abord à eux de donner leur avis. Je fis juste remarquer que 5 autels à la file, cela posait problème du point de vue de la liturgie. Le responsable des cultes n’avait pas les adresses ni de l’évêque, ni du curé !
Il me semble indispensable que le curé et l’évêque soient présents à des réunions si essentielles. C’est arrivé qu’ils le soient, mais seulement en observateurs, sans aucune voix décisionnelle, comme c’est arrivé à Mgr Moutel pour la cathédrale de Nevers : on l’a fait sortir au moment des votes.
Narthex : On voit bien l’importance de la collaboration confiante entre l’Eglise et l’Etat, mais aussi la non moins grande importance des connaissances liturgiques dans de tels débats.
R. M. : Cela est vrai même dans les commissions d’art sacré. J’ai conseillé à une personne qui se préparait à entrer dans la commission d’art sacré de Lyon de se former en liturgie ; cela à son grand étonnement.
J’ai collaboré à l’aménagement de la cathédrale de Vannes : l’artiste avait proposé un projet rocambolesque. La commission pour la sauvegarde du patrimoine religieux avait été saisie. Nous avons étudié ce projet avec son président Dominique Ponnau.
On a constaté qu’aucune directive n’avait été donnée à l’artiste, il avait fait selon son inspiration. La conclusion qui s’imposait était de lui montrer comment vit une cathédrale, ce qu’on y fait, comment fonctionne une procession, par où elle passe, où et comment on s’assied, comment l’évêque se positionne par rapport aux autres ministres etc. Certains artistes vont longuement traîner dans les lieux qu’ils doivent aménager, mais tous ne le font pas.
Narthex : Toutes ces questions que vous avez posées résonnent encore aujourd’hui. Il est intéressant que l’on sache que les questions actuelles ne sont pas nées comme ça par effet de mode, mais qu’elles sont permanentes.
R. M. : J’ai quand même l’impression qu’en 30 ans, les équipes liturgiques ou les chrétiens qui fréquentent les églises ont le souci d’un bon aménagement liturgique. Ils ont davantage ce souci, y compris de se former. Mais du côté du clergé, les échos que j’en ai sont moins optimistes : il est bien souvent ignorant de toutes ces questions : Il faut surtout du classique, ne rien bouger. Le manque de formation, tant liturgique qu’artistique mène bien souvent au « copinage ».
Nous connaissons aussi les réticences devant l’art contemporain et la création. Philippe Kaeppelin m’a un jour mise en garde contre les gens du ministère par qui je risquais de « me faire avoir ».
Lorsqu’on connaît bien la question, qu’on y a réfléchi en croisant les compétence, liturgie et art, qu’on a collaboré avec les meilleurs, on a acquis une vraie capacité de discernement. Il faut absolument travailler à la formation la plus complète possible des responsables à tous niveaux, et ensuite,reconnaître leurs compétences et travailler avec eux.
Narthex : Merci beaucoup, Renée Moineau, pour toutes ces richesses que vous nous avez partagées.