« Nous croyons appréhender le monde. Nous ne sommes que visités par lui. » – Tal Coat
Marcheur, il l’était en effet, celui qui fut proche d’Alberto Giacometti, sculpteur de cette icône moderne qu’est L’homme qui marche (1960). Obstiné aussi, sans doute, puisque Tal Coat signifie « front de bois » en breton : sa trajectoire hors des modes et des sentiers battus explique-t-elle sa gloire fluctuante, lui qui côtoya pourtant nombre des célébrités de son temps : Picabia, Balthus, Chillida, Calder, de Staël, mais aussi Hemingway, Cendrars, Tzara… pour n’en citer que quelques-unes? Marcher et peindre pour « être là où je dois être » sans se soucier de « mener une vie d’homme sauvage », déclare encore Tal Coat : y aurait-il un prix à payer pour cette « sauvagerie » ?
Par bonheur un ensemble de manifestations, colloques et publications se propose depuis un an de raviver la flamme Tal Coat. La rétrospective rassemblant quelques 180 oeuvres au musée Granet d’Aix-en-Provence vaut notamment le détour. On y suit le parcours chronologique de l’artiste, ses hésitations entre différentes « manières » – regard posé sur les maîtres anciens et les contemporains de renom -, puis sa lente libération des influences subies au terme d’un travail opiniâtre de plus de soixante ans ; on y voit le peintre débuter par une figuration marquée par le « primitivisme » de Gauguin et de l’école de Pont-Aven, s’essayer à la sculpture à la suite de son ami Giacometti, subir l’influence cubiste de Picasso, passer par des sujets plus expressionnistes ou réalistes dans les années trente (marqué par Francis Gruber), s’inspirer des paysages aixois de Cézanne (ici en « voisin » puisque le célèbre peintre aixois ouvre l’exposition contigüe), pour évoluer vers les halos lumineux des derniers tableaux.
Et le visiteur de cheminer avec Tal Coat, tour à tour irradié par l’éclat du Nu aux bas rouges (1934) ou égaré dans les méandres des Failles et des Rochers du pays aixois où Tal Coat vécut de 1940 à 1956, happé par la profondeur d’un grand Bleu surgi (1974) ou noyé dans la granulosité lie-de-vin des paysages de la Drôme et des derniers autoportraits. Il y observe l’artiste se dégager peu à peu de la forme pour n’en conserver que le mystère de signes, traces et biffures enfouis dans les vibrations de la couleur, au sein de paysages intérieurs et intériorisés. Sa quête? Parvenir non pas à l’abstraction, mais à l’apparition-dissolution de la forme dans l’espace et la lumière aux nuances infinies, entre surgissement et effacement des dernières peintures, vibrantes, épurées et poétiques aux titres éloquents (lorsqu’elles en portent): Eclairé, En ses profonds, Ici arrêté, Vertige, Fin de labour… Images photosensibles des paysages aperçus, des choses vues et vécues, intensément ressenties.
L’exposition simultanée à la Fondation Saint-John Perse d’Aix – « La langue peinture » – vient évoquer à propos les affinités poétiques de Tal Coat avec le poète André du Bouchet (rencontré à Aix en 1948) et le philosophe Henri Maldiney qui donnèrent lieu à quelques recueils magnifiquement illustrés.
Les plus curieux de Tal Coat iront jusqu’à consulter le catalogue raisonné établi et mis en ligne par le petit-fils de l’artiste, Xavier Demolon, ainsi que le film de Michel Dieuzaide*, réalisé dans le dernier atelier du peintre en 1983. Car qui, mieux que l’atelier de l’artiste, peut témoigner de son cheminement, de ses doutes et ses combats, en un mot de la genèse de son art? Là encore, le peintre déambule, prend son temps, s’arrête silencieux devant une toile vert-de-gris, la fait miroiter, en saisit une autre ; plus loin, contemple le patchwork de petits tableaux posés au sol façon tesselles de mosaïque, médite sur les panneaux de toutes tailles dressés verticalement – pâtes épaisses aux surfaces cicatricielles et couches sédimentées, lumières subtiles et couleurs délicates – s’assied devant en sifflotant. Léger et concentré, disponible à « l’attente bénéfique de ses toiles », inlassablement animé par la quête inassouvie de l’instant lumineux et merveilleux perçu dans la nature, de « l’imprévisible remontée des abîmes, venant au jour dans le tremblement du vertige ».
Odile de Loisy
—
* Michel Dieuzaide, L’Atelier ouvert, 16 mm – couleur, 25’, production CNAP – Ministère de la Culture, Paris, 1983.