Vides et pleins de la dentelle
Dentellière de formation, d’environnement pourrait-on dire également (2) , Marjolaine Salvador-Morel exerce la dentelle à l’aiguille au point d’Alençon. Cette dentelle se caractérise par un réseau de mailles bouclées, dont certaines parties plus serrées, les remplis, créent des effets d’ombre, une élaboration qui, contrairement à la broderie, s’émancipe de son support. L’idée de changer de matériau et d’échelle a rapidement livré l’artiste à de nouvelles expérimentations où des voies inconnues se sont invitées. Le fil nylon, sa matière, lui a permis de quitter l’aplat pour le volume.
Liés et déliés du fil nylon
Marjolaine Salvador-Morel déforme le point de feston jusqu’à d’extrêmes irrégularités. Dans ce réseau de fils harmonieusement enchevêtrés, elle multiplie les vides et parfois intègre des éléments sphériques, billes en pâte de verre ou en inox, accrochant la lumière. L’artiste se laisse travailler par le fil comme en écriture automatique. C’est là, confie-t-elle, que se manifeste quelque chose « en plus de moi » (3) , la sensation du travail de la matière en sous couche, car « la matière a quelque chose à me dire ». De sa rencontre avec Pietro Seminelli (4), elle adopte le « dessin du regard » comme processus créatif, un embrassement sur le monde.
Les formes des origines du vivant
Cocon (2009), « petit trésor dans lequel est enfermé le don de la vie, la survie de l’espèce, la maternité », est issu d’un tête-à-tête avec une araignée épeire fasciée et son cocon. Ce dernier constitué de plusieurs et différentes épaisseurs de toile vit, comme en suspension, les fils maintenus par l’herbe autour de lui.
Naissance (2010) lui fit naturellement suite. Le Cœur de Marie (2011), cœur jaillissant d’un cocon au moment de sa mise en forme, est imprégné de la lecture de l’ouvrage de Carole Martinez, Le cœur cousu, roman sur la femme, l’amour et la filiation.
Eclosion (2013) retrace le cycle végétatif d’une fleur et demeure lié, comme les premiers travaux, à l’épanouissement de la vie. Avec Jacinthe ou la miséricorde de la Vierge (2013-2014) et Anémochorie ou akène aigrette soyeuse, nom botanique des graines de pissenlit (5) (2014), le monde végétal est transposé à grande échelle pour une pénétration de l’infiniment petit, ce que les photographies de détail de Dominique Couineau exposées autour des oeuvres, retracent à merveille. La poésie d’Anémochorie s’éprouve dans une forme libérée de toute attache dont le nom et la légèreté, évoquent la dissémination des graines au vent et leur ensemencement, loin de la fleur mère.
La sève de l’œuvre
La mise en volume selon la technique du fil tendu – à la fois matière et outil – vient, dans les premiers travaux, après une exécution entièrement à plat. Toujours des fils non travaillés sont laissés, gages de la vie de l’œuvre qui ne peut ni être arrêtée, ni s’achever. Ces fils environnants, vierges de tout nœud, prolongent l’œuvre, la reliant au monde extérieur dans un enracinement aérien. Les fils intérieurs de Jacinthe, pensée à l’origine en fil tendu, prennent de l’importance, jusqu’à former une épine dorsale dont les excroissances semblent pouvoir s’échapper de leur contenant. Installation inédite et autonome (6), La Canne des anges (2014), arche végétale « en forme de baie ogivale, se déploie sur la hauteur. L’artiste œuvre désormais en taille directe, pleinement consciente d’avoir ici transmis, « sa sève ».
Métaphores de vie
Du cycle de la vie au vivant monocellulaire, la recherche plus intérieure de l’artiste inspirée de nature végétale et animale, ne cesse de se déployer.Derrière la dextérité de l’aiguille se pressent une lecture plus métaphorique du monde, proche de la vision du philosophe américain Ralph Waldo Emerson (1803-1882) qui situe l’Homme au sein de l’univers, en miroir de la nature. Par la contemplation et l’observation du microcosme de la nature, Marjolaine Salvador-Morel saisit le battement et les pulsations du monde.
Une écriture du sensible
L’artiste utilise la blancheur, la brillance et la translucidité du fil nylon pour sa faculté à faire émaner la lumière. Captant toutes les couleurs, la lumière blanche est la plus amène à distiller sa perception.
De la vie balbutiante à la figure verticale, sensations de l’impalpable resurgi par réminiscence, l’ensemble s’apparente aux sept degrés de la mâturation de l’être. Ouverte aux transparences et aux dilatations, Marjolaine Salvador-Morel atteint là, une création très singulière.
Dominique Dendraël, conservatrice du musée du Hiéron à Paray-le-Monial, juin 2015.
A savoir :
Chrysalides de dentelle
Installations de Marjolaine Salvador-Morel
Du 20 mars au 20 septembre
MAHB – 37 rue du Bienvenu – BAYEUX
Tél. 02.31.92.14.21
www.bayeuxmuseum.com
(1) L’exposition présente les oeuvres de l’artiste au regard des collections du musée.
(2) Marjolaine Salvador-Morel est fille de Mylène Salvador-Ros, dentellière au fuseau, à l’origine de la création du Conservatoire de la dentelle de Bayeux en 1982, nommée maître d’art en 1994.
(3) Toutes les citations entre guillemets sont de l’artiste.
(4) Pietro Seminelli est nommée maître d’Art en 2006 en tant que Créateur Textile – Art du Pli.
(5) L’akène étant le fruit et l’aigrette soyeuse, la partie supérieure en forme de « parapluie ».
(6) Aidée en cela des structures en fer forgé réalisées par Thomas Morel, forgeron.