Pour cette troisième visite des Itinéraires de la création, nous avons rendez-vous dans l’atelier du peintre Jérôme Boutterin, où nous sommes chaleureusement accueillis, par l’artiste mais aussi par ses nombreuses toiles. Nous partons ainsi à la découverte d’un espace envoûtant, où la couleur règne en maîtresse incontestée.
Dès notre arrivée, Jérôme Boutterin nous propose de remonter le temps : il commence par nous montrer ses travaux les plus récents avant de revenir sur ses œuvres plus anciennes. En premier lieu, des grandes planches sur lesquelles sont scotchées des feuillets de croquis sont offertes à nos regards. De prime abord nous cherchons un sens à ces entrelacs multicolores et nous sommes interpelés : nous cherchons un sens, un détail qui nous raccrocherait à la figuration, plus rassurante. Viens le moment où il faut lâcher prise et accepter, comme elles viennent, les formes abstraites. Ses planches sont des croquis préparatoires, des tentatives, des essais, où l’artiste joue avec la tâche et le trait.
Sur les toiles montrées ensuite, tout se joue à partir d’un amas de couleurs, sorte de matrice à l’image d’un fragment de palette. C’est un concentré de peinture, que Jérôme Boutterin s’efforce de ne pas amalgamer et de ne pas rendre confus, pour qu’au contraire les couleurs puissent être dissociées et distinguées. Ce magma chromatique c’est l’origine, le commencement, duquel surgit le dessin qui prend forme. Parfois l’artiste laisse le trait s’essouffler jusqu’à ce que le pinceau s’assèche, parfois il retourne à la source pour y puiser à nouveau les couleurs. Aucun trait, aucune forme n’est laissée au hasard, comme en attestent les nombreux croquis, à la peinture mais aussi au crayon, montrés par l’artiste ou accrochés sur les murs. Parfois notre inconscient, fortement ancré dans la figuration, reprend le dessus et nous croyons reconnaître, ici un cœur avec tout le réseau vasculaire, ailleurs la figure d’une femme drapée dans une robe…
Dans ces œuvres, qui sont donc les plus récentes, Jérôme Boutterin accorde une grande importance au fond blanc qui fait partie intégrante de l’œuvre. Le fond est préparé, soigneusement peint en blanc, avant d’entrer en dialogue avec les couleurs. L’artiste peint au sol, la toile y est posée comme s’il s’agissait d’une mappemonde, c’est là qu’il compose la peinture sans aucune hiérarchie, sans point de début ou de fin. Quand il accroche l’œuvre au mur, le travail continue pour donner un sens, une orientation, à ce désordre. L’un d’entre nous s’interroge : « Peut-on mettre cette toile dans l’autre sens ? », aussitôt Jérôme Boutterin décroche celle-ci et la raccroche « tête à l’envers ». Et aux yeux de tous, surgit la réponse à cette question : le sens est perdu, et la composition « ne fonctionne plus ».
Nous remontons quelques années auparavant, cette fois vers les travaux plus anciens de l’artiste. De 2007 à 2014, c’est déjà la couleur qui est au centre des toiles de Jérôme Boutterin, mais cette fois-ci dans des déclinaisons monochromes. Dans ces peintures tantôt rouges, ocres, brunes, cyan, vertes, violettes… l’artiste travaille sur le désordre organisé des traces laissées par la peinture, superposant ainsi, des aplats, des tracés au pinceau large, des entrelacs et motifs très fins relevant de l’art calligraphique mais aussi des effets de lavis. On retrouve tout un ensemble de ces techniques qui forment la mémoire des faits de peinture, laissée par l’artiste. Une mémoire que chacun de nous, d’une certaine manière conserverait en soi.
Comme pour sa série précédente, l’artiste a travaillé à plat, sans aucune forme d’orientation, et c’est en relevant la toile qu’il en trouve le sens et l’affine jusqu’à aboutir à l’œuvre : si la première étape est assez rapide, la seconde en revanche demande plus de temps, plus de minutie.
Les peintures monochromes de Jérôme Boutterin étonnent par leur profondeur. Devant une toile rouge, on se trouve confronté à une sorte de mémoire des organes, presque comme une image médicale ; les formes courbes, enrobantes suggèrent un vrai bouillonnement organique qui nous questionne chacun sur notre condition d’êtres de chair et de sang. Une autre toile cyan apparaît et nous sommes emportés dans un univers marin fait de gouttes, de vagues, d’écume toujours à la limite de la suggestion calligraphique, offrant un ensemble d’une agréable légèreté. L’artiste confie s’être méfié du blanc pendant une certaine période, de son « élégance » et certains tableaux témoignent de ce mouvement où cette surface blanche diminue puis se ré-ouvre pour acquérir une place essentielle.
Les tableaux de Jérôme Boutterin semblent déconstruire certains fondements de la peinture : gestes, couleurs, lignes, surfaces, pour faire apparaitre depuis ce désordre de nouvelles structures. Il travaille par série, comme les chapitres d’un livre qui montrerait des procédés où la peinture s’inventerait elle-même.
La présence forte du geste dévoile simultanément sa maitrise et sa maladresse dans des compositions se situant au plus près de leur instabilité possible. L’énergie de sa peinture nous invite alors à une réflexion sur nos propres attitudes dans une époque où domine la performance.
Pour en savoir plus sur l’artiste http://jeromeboutterin.com
Laura Hamant
coordinatrice projets Art Sacré / SNPLS