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Anne et Patrick Poirier chez Le Corbusier

Au cours de l’automne 2013 les artistes Anne et Patrick Poirier étaient invités par les frères dominicains du couvent de La Tourette à venir installer, le temps d’une exposition, quelques unes de leurs œuvres dans l’œuvre architecturale de Le Corbusier. Plus qu’une simple exposition, il s’agissait d’une rencontre entre les artistes et un lieu, à l’architecture puissante, dans lequel vit une communauté religieuse.
Publié le 14 mars 2014

Anne et Patrick Poirier appartiennent à une génération qui a connu la guerre. Patrick est né à Nantes, sa maison familiale fut bombardée et son père tué dans le bombardement ; quant à Anne elle est née à Marseille dont une partie de la ville porte les stigmates de la guerre. Ils sont tous deux marqués dès leur enfance par la fragilité de la vie et qu’à tout moment celle-ci peut basculer. Après leurs études aux Arts décoratifs, ils reçoivent l’un et l’autre le prix de Rome et partent plusieurs années à la Villa Médicis.

Empreinte de sarcophage gallo-romain, 2013 ©Anne et Patrick Poirier, Adapg, Paris 2014

Très marqués par les ruines antiques, notamment celles d’Ostie, ils font de nombreux moulages de fragments d’architecture antique, soulignant la fragilité de ces constructions. Depuis cette époque et jusqu’à ce jour ils mènent une réflexion autour de la mémoire, de la fragilité de l’homme et de la fragilité des civilisations. Ils constatent que toute civilisation ne laisse que des ruines, des fragments qui parviennent jusqu’à nous et que toute construction humaine est vouée à la disparition. Ils essayent d’exprimer cela à travers des matériaux, que, dès l’origine, ils ont voulu divers.

Anne et Patrick Poirier ont présenté à La Tourette un ensemble d’œuvres récentes dont certaines ont été créées in situ. En découvrant l’architecture du couvent ils ont été frappés par la matière et les défauts dans le béton, par la « peau » des murs du couvent et ont réalisé sur place un ensemble d’empreintes très délicates de ces aspérités avec leur technique consistant en des papiers Japon très souples, blancs. Toutes ces empreintes des murs, au crépi grumeleux, ou des pilotis cannelés de Le Corbusier en béton brut de décoffrage, appelées Mémoire des murs, étaient fixées sur les murs mêmes du couvent, montrant la fragilité du bâtiment.         

 

Sur ces murs de rude béton, ces empreintes en étaient comme leur « peau ». Cela posait la question de la force de la trace face à son lieu d’origine, encore debout et massif car ces empreintes étaient là comme pour nous rappeler que ces murs seront un jour sans doute réduits à l’état de fragments, de ruines et que nos constructions, si belles soient-elles, n’ont pas les promesses de la vie éternelle.

LES EMPREINTES, DÉTAIL « MÉMOIRES » 2013 ©ANNE ET PATRICK POIRIER, ADAPG, PARIS 2014

Leur recherche sur les traces de civilisations s’incarnait admirablement avec le triptyque Archéologie du futur dans lequel ils mêlaient, sur une maquette érigée en tableau, les vestiges archéologiques de villes antiques ou paléochrétiennes avec des vestiges d’industries ou de villes de notre époque, toutes « enfouies sous les sables de l’oubli par les vents violents de l’histoire ». En mettant au même niveau le passé et le temps présent, ils nous questionnaient sur la pérennité des constructions qui nous entourent, sur leur fragilité, leur vulnérabilité. Les paroles de Qohélet au livre de l’Ecclésiaste nous reviennent : « Vanité des vanités, tout est vanité ».

 

Archives, 2013 ©Anne et Patrick Poirier, Adapg, Paris 2014

Ce thème de la vanité est au cœur de plusieurs de leurs œuvres, notamment leurs Archives, grandes et somptueuses photographies de végétaux tatoués, pétales rouges d’amaryllis ou d’iris en train de se faner. Sur l’un des pétales est tatoué le mot « twins » comme un écho aux tours jumelles de New York, symbole de la puissance économique américaine, anéanties en une heure.

Les œuvres d’Anne et Patrick Poirier nous invitent à un voyage, sans nostalgie, mais empreint de mélancolie, dans le passé mais aussi dans l’avenir, qui bouscule la hiérarchie du temps, de l’espace et de la pensée, un voyage poétique dans « la mémoire du futur ».

Archéologie du futur, 2013 ©Anne et Patrick Poirier, Adapg, Paris 2014

En juin prochain ils exposeront à Nantes, ville natale de Patrick Poirier. Le musée des Beaux-Arts étant en cours de restauration, il a été proposé aux deux artistes de choisir des œuvres parmi les collections du musée et de les exposer en dialogue avec certaines de leurs œuvres dans cinq lieux différents de la ville, notamment le passage Sainte-Croix, permettant ainsi, dans ce jeu de confrontations, de renouveler le regard sur les œuvres.

Frère Marc Chauveau, o.p.

 

 

 

 

 

 

Le catalogue :
La Tourette / Mémoire des murs
Rencontre Le Corbusier / Anne et Patrick Poirier

Regard contemporain sur le couvent / Laszlo Horvath
112 pages – 80 illustrations en couleurs
Editions couleurs contemporaines
www.bernardchauveau-editeur.com

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