Les acteurs patrimoniaux ont pris conscience de la nécessité d’une réflexion sur la médiation et l’explication du patrimoine religieux. A la suite des séminaires organisés par l’École nationale du Patrimoine, en relation avec le service de l’Inventaire, sur le patrimoine religieux du XIXe siècle2, une question fondamentale est apparue : comment le restituer au public sans l’isoler ou le dénaturer, particulièrement lorsqu’il n’est plus lié à l’édifice ou à la communauté pour lequel il a été conçu ? Le colloque « Forme et sens », organisé en 1996 à l’Ecole du Louvre, et la table ronde « Trésor d’église, musée d’art religieux : quelle présentation ? » de 1997, ont montré une attente réelle pour le patrimoine cultuel dont les clés deviennent de plus en plus inaccessibles au plus grand nombre. Mais sa présentation auprès du public est très délicate. Il est donc essentiel de veiller à la qualité de la médiation, qu’elle soit visuelle, orale, écrite ou interactive.
La médiation visuelle
L’expérience visuelle est complexe. La variation de la perception et de la représentation que l’on a d’un espace selon les circonstances est aussi valable pour les objets. Il y a toujours un sens induit par la mise en exposition. La médiation visuelle et spatiale est le vecteur du processus de reconnaissance d’un monde, elle tente de gérer la différence entre espace sacré et espace profane. L’expérience visuelle du visiteur est modifiée, travaillée par la muséographie qui sélectionne et élabore les critères de la médiation.
Les différentes institutions que sont les trésors, les musées et les expositions temporaires ont toutes des logiques de médiation visuelle différentes, mais chacune d’elles met en oeuvre des compromis, notamment avec les reconstitutions. La muséographie des objets d’art sacré peut souvent sembler poussiéreuse ou peu attractive, car ce patrimoine n’est pas facile à présenter. Il faut trouver une juste mesure entre les présentations artistiques, liturgiques et ethnographiques, depuis la simple mise sous vitrine jusqu’à la reconstitution analogique qui n’est pas sans ambiguïté ni sans danger : comment signaler et distinguer ce qui est authentique et ce qui est factice ?
La médiation orale
Avec la visite guidée et le texte d’audioguidage, la médiation est orale. Dans les trésors, cette médiation est plutôt de type catéchistique, le discours culturel agissant plus comme une médiation du catholicisme en tant que culture que comme médiation de l’objet, mais elle tend à devenir didactique, comme dans les musées. Certains visiteurs demandent la fonction des objets exposés, mais l’intérêt porte surtout sur la valeur de l’objet.
Les prêtres de certaines paroisses font des réunions destinées aux guides, afin qu’ils insistent sur le fait que les visiteurs sont dans une église et non dans un musée. Mais ces deux types de médiation orale se contaminent, en fonction du public présent. Le trésor doit être présenté parfois par un discours didactique, et à l’inverse, le médiateur de musée se voit parfois confronté à des questions qui l’obligent à des propos de type catéchistique.
La visite d’un musée, d’une église et de son trésor, ou d’une exposition temporaire peut être le moyen d’expliquer à ceux qui ne sont pas catholiques ce qui se passe à l’église.
Il est nécessaire que des médiateurs puissent bénéficier de formations spécifiques pour présenter le patrimoine religieux en termes clairs à tous types de public. Les enfants notamment n’ont pas toujours les clefs pour comprendre la culture catholique dans laquelle a baigné l’histoire de France. La visite d’un musée, d’une église et de son trésor, ou d’une exposition temporaire peut être le moyen d’expliquer à ceux qui ne sont pas catholiques ce qui se passe à l’église, et d’exprimer en termes accessibles le fondement de cette religion et les expressions artistiques de la foi telles qu’on les reçoit aujourd’hui. Les médiations orales et écrites doivent permettre ce discours sur la culture catholique.
La médiation écrite
Si la mise en exposition dans son entier est vecteur de discours, le texte en est un élément clef car il véhicule l’idée. Les cartels, étiquettes, livrets d’aide à la visite et panneaux disponibles sur les sites se trouvent être les éléments médiateurs les plus proches des objets exposés. La rédaction de la plupart des cartels semble être soumise à une alternative simple : présenter les objets soit comme des oeuvres d’art (avec un cartel sommaire : nom de l’objet, date, technique…), soit comme des objets ethnographiques (et alors l’origine géographique, la fabrication, la signification sont largement détaillées).
Les spectateurs n’ayant pas la même familiarité avec les objets du culte, il n’est pas étonnant que les cartels fournissent souvent une information didactique et symbolique. Cependant, le choix du type des informations à fournir n’est pas effectué en fonction des lacunes supposées des visiteurs. Le facteur décisif n’est pas l’identité culturelle de l’objet ou du public mais le type de lieu d’exposition. L’espace est une nouvelle fois décisif car il définit un type de médiation écrite.
Un appareil pédagogique est nécessaire, mais attention au risque d’en dire trop. La vision doit être globale et forte, et ne pas faire disparaître l’objet derrière le discours, à moins que ce soit une muséographie d’idée et non d’objet. Apparaît alors une nécessité de compromis : savoir doser et équilibrer les propositions et les textes, tant pour la médiation écrite qu’orale. Beaucoup reste à faire en matière de documents explicatifs, de signalétique, de supports informatifs. Des spécialistes seront nécessaires pour la rédaction de tels supports. Certaines expositions temporaires sont des modèles du genre, n’hésitant pas à recomposer un contexte littéraire, culturel et visuel très riche pour mettre en évidence toutes les harmoniques présentes dans les objets exposés.
Interactivité et virtualité
Depuis quelques années, s’ajoute la médiation interactive. Des bornes, placées dans plusieurs salles d’un musée, permettent d’expliquer l’usage des objets, et des CD roms peuvent être vendus.
Un mot enfin sur l’usage du virtuel. A la suite de Maurice Gruau3 qui n’hésite pas à parler de « rite virtuel » à propos des messes télévisées regardées en différé, il semble qu’on pourrait, au moins en partie, se réapproprier ce concept et cet outil dans le contexte muséal. De fait, le film et le reportage sont utilisés comme outils de médiation dans les musées d’histoire, mais pas, tout au moins à notre connaissance, dans les espaces patrimoniaux traitant des objets du culte.
Faudrait-il s’indigner de voir une messe télévisée dans un musée d’art sacré ? Celle-ci pourrait être considérée comme un modèle, à l’image des reconstitutions de scène de messe que l’on peut observer actuellement dans certains musées. Il est vrai que les problèmes qui surgissent alors, comme pour les reconstitutions, sont graves : où se trouve le vrai, où se trouve le faux ? Des théologiens, des liturgistes, des moralistes, des philosophes et des ethnologues doivent se pencher sur ces questions et trouver des solutions au cas par cas.
Les objets du culte patrimonialisés sont disposés dans un espace et articulés en discours. Les différents moyens de médiation : visuel, écrit, oral, interactif, jouent tous du compromis entre le sacré et le profane, le cultuel et le culturel, le religieux et le laïc, mais aussi entre l’artistique et l’ethnographique, le précieux et l’ordinaire. Or il semble que les donnes changent. Le compromis était axé sur le statut de l’objet. Désormais l’accent porte de plus en plus sur le fait que l’objet est le vecteur du catholicisme en tant que culture. Une dynamique identitaire anime aujourd’hui la religion catholique valorisant ainsi l’expression et la classification de ses particularismes par rapport aux autres religions.
Fabienne Dorey
Muséologue, chargée de mission patrimoine ancien et arts plastiques.
(1) Françoise Lautman, « Objets de religion ; objets de musée », Muséologie et ethnologie, Réunion des musées nationaux, Paris, 1987, p.176.
(2) Ces séminaires – très centrés sur les méthodes d’inventaire, la connaissance des objets, les critères de sélection – ont été renouvelés plusieurs fois à la demande des professionnels.
(3) Maurice Gruau, L’homme rituel, Médaillé, Paris, 1999, en particulier p. 96.
Article extrait des Chroniques d’art sacré, numéro 71, 2002, © SNPLS