Lorsqu’une commande m’est adressée, il m’apparaît important de connaître par quel circuit la ou le commanditaire a eu mes coordonnées : si c’est par recommandation, le premier contact sera réservé, voir même prudent, le terrain d’entente est à conquérir, le dialogue s’établit dans la durée. En revanche, si c’est par l’adhésion à une de mes oeuvres vue et appréciée, la relation est déjà établie grâce à une sensibilité commune, mais elle sera plus difficile à gérer au niveau d’une commission consultative, car, le couple « commanditaire / artiste » risque inconsciemment de laisser en retrait les autres membres de la commission.
Il me faut savoir également :
– Qui est le commanditaire ? Si le commanditaire est affectataire ou propriétaire du lieu.
– Si le lieu est inscrit ou classé au titre des Monuments Historiques.
– Si c’est une église paroissiale, une chapelle, une abbaye, un oratoire, une pièce dans un appartement à transformer en un lieu de prière.
– Si c’est une installation éphémère.
– Avoir un descriptif du lieu et de son environnement, sa date de construction, sa capacité d’accueil.
– S’il existe une équipe qui a déjà réfléchi au projet avec la Commission Diocésaine d’Art Sacré.
– A quel stade d’avancement du projet intervient la commande ?
Les lieux sont à accueillir pour ce qu’ils sont : leurs espaces, leurs lumières, leurs styles, leurs matériaux et leurs tonalités.
Avec ce premier éclairage, je demande un rendez-vous sur les lieux. Le dialogue avec le commanditaire et parfois sa commission, va permettre de préciser le cahier des charges de façon à trouver ensemble une cohérence entre le sens et la forme, la fonction et l’esthétique, et ainsi de créer « vrai », dans une vue d’ensemble, en se posant les questions : l’espace et le mobilier seront-ils au service de l’action liturgique, quelle Eglise se donnera à voir ? Le cahier des charges doit être précis. Il permettra et offrira à l’artiste la structure nécessaire sur laquelle l’inspiration prendra forme.
En général, je réalise un avant-projet, qui représente l’investissement personnel le plus important dans le travail de création. C’est le premier jet de l’inspiration, la première « mise en forme ». L’avantage de l’avant-projet est d’ouvrir un échange critique entre le commanditaire, son équipe et l’artiste, autour de la création et pouvoir ainsi, réorienter le travail, avant qu’il ne soit trop engagé. Je dois sentir à quel moment, dans la réponse au cahier des charges, je vais prendre ma liberté d’expression. Respecter la contrainte du cahier des charges ne doit pas aliéner la personnalité de l’artiste. Je ne cherche pas être complaisante, je ne crée pas pour plaire, mais je crée dans le « ressentir » et le « dire ». J’ai besoin d’être sincère. Dans cette condition, le refus de l’avant-projet est possible et devient alors une épreuve. Il faudra un temps difficile de conversion pour repartir sur un autre projet.
La confiance du commanditaire est très importante. En acceptant le risque de l’inconnu, elle permet à l’artiste de créer librement : « j’attends de vous maintenant, de m’émerveiller », superbe envoi pour l’artiste mais, tout aussi angoissant.
Comme tout travail, la création de l’avant-projet devrait mériter salaire, ce n’est pas toujours le cas. Lorsqu’une commande est adressée à un artiste, il m’apparaît normal qu’une première participation financière soit versée en acompte. Elle sera déduite du financement total en cas de réalisation du projet ou restera acquise en cas de refus. Cette somme est à négocier dans la transparence.
En réalité, ni l’Eglise, ni l’artiste ne sont à l’aise pour aborder ce sujet. Il s’avère que plus on le retarde, plus cela se complique. Cet aspect à mon avis devrait être abordé au stade du cahier des charges, en termes clairs. C’est un contrat qui engage le commanditaire et l’artiste. C’est une reconnaissance mutuelle1. Il est très éclairant pour décider en amont, par qui et comment se fera le financement du projet et de sa réalisation, ce qui permet de supprimer tous risque de « mal entendu » ou de « pas entendu ».
Lorsque l’avant-projet a reçu l’accord de la commission, la réalisation commence. Il me paraît important d’avoir un suivi tout au long de l’élaboration du travail. Entre le moment de la création de l’avant-projet et celui de la réalisation, le temps fait son oeuvre, c’est une seconde création qui s’enrichit d’une certaine maturité, de nouveaux apports, et parfois de contraintes techniques imprévisibles. C’est au cours de ce chemin parcouru, que l’oeuvre peut s’enrichir d’un accompagnement qui ne doit pas ressembler à un contrôle, mais instaurer un véritable dialogue, un partenariat. Cependant, il y aura toujours un décalage entre le projet et la réalisation finale, ce qui parfois peut déconcerter le commanditaire et les membres de la commission consultative. En effet, chacun se projette une image de la création achevée. Cette image ne se superpose pas exactement sur la création aboutie, et cela peut entraîner de la déception, de l’étonnement ou de l’admiration.
Je terminerai ces quelques lignes en disant qu’à l’aboutissement d’une commande, j’ai toujours un sentiment de reconnaissance pour le bonheur et la richesse que m’ont apportés les rencontres, les échanges, les partages. C’est pour moi une ouverture au monde. Chaque commande est une étape unique à vivre et à franchir, sur un chemin inconfortable mais porteur d’espérance.
Laurence Bernot
1) Je renvoie à l’article, rubrique juridique « le financement des aménagements liturgiques » de Michel Moncault paru dans le numéro 53 des Chroniques d’Art Sacré.
Article extrait des Chroniques d’art sacré, numéro 77, 2004, © SNPLS