Les foules se pressent dans le hall Napoléon, tandis que le Louvre a réglé ses horloges à l’heure hollandaise : à l’occasion de l’exposition événement sur Vermeer et les maîtres de la peinture de genre, les salles de peinture des Ecoles du Nord du musée ont fait peau neuve après onze mois de travaux. Deux expositions prolongent le voyage en terre hollandaise : « Chefs-d’œuvre de la collection Leiden, le siècle de Rembrandt » et « Dessiner le quotidien, la Hollande au siècle d’or » toutes deux au pavillon Sully. Même le jardin des Tuileries n’en réchappe pas, puisque les tulipes vont bientôt envahir les parterres fleuris avec l’arrivée du printemps ; il ne manquera plus que les moulins pour parfaire le tableau !
Le siècle d’or hollandais
Le troisième quart du XVIIe siècle marque l’apogée de la puissance économique mondiale de la Hollande, ou plutôt des Provinces-Unies. Les membres de l’élite hollandaise, qui se font gloire de leur statut social, exigent un art qui reflète cette image. La « nouvelle vague » de la peinture de genre voit ainsi le jour au début des années 1650 : les artistes commencent alors à se concentrer sur des scènes idéalisées et superbement réalisées de vie privée mise en scène, avec des hommes et des femmes installant une civilité orchestrée.
Johannes Vermeer (1632-1675) est l’un des maîtres de cette peinture, aux côtés de Gérard Dou, Gerard ter Borch, Frans van Mieris, Gabriel Metsu, Pieter de Hooch… Ces peintres, actifs à Leyde, Deventer, Amsterdam, ou Delft, ont eu connaissance du travail les uns des autres. Leurs rapports alternent hommage, citation détournée, métamorphose. Les sujets de leurs toiles sont souvent proches, mais les interprétations témoignent d’une force d’inventivité et de technique propre à chacun. Vermeer en est sans conteste le plus connu, mais il serait faux de vouloir voir en lui un chef de file à tout prix : tout ne part pas de lui, tout n’aboutit pas à lui.
Typologie des scènes de genre
Les sujets de prédilection des peintres adeptes de la peinture de genre sont moins des instantanés de la vie bourgeoise des notables de la société hollandaise, que des figures idéales de la vie intellectuelle, romantique et raffinée de cette classe sociale. Les thèmes de la pesée de l’or, de la lettre d’amour, de la musique, de l’étude scientifique, de l’intérieur bourgeois sont prétextes à un travail de la lumière, de la gestuelle et de la posture auquel chacun des peintres s’exerce avec brio.
La représentation des classes aisées dans ses occupations de loisir ou de travail n’est pas un thème novateur en soi, on en trouve des occurrences depuis bien longtemps en Hollande et en Flandres (on se souvient des Epoux Arnolfini de Jan Van Eyck près de deux siècles auparavant, ou du Changeur et sa femme de Quentin Metsys au début du XVIe siècle) ; c’est véritablement ce nouveau traitement du sujet, à la limite de l’allégorie, qui est novateur.
Les deux oeuvres les plus connues de Vermeer, La Dentellière du Louvre comme La Laitière du Rijksmuseum sont souvent prises comme des antithèses aux scènes de vie bourgeoise. La première est perçue comme une ouvrière au travail ; la seconde serait une discrète tentatrice. En vérité, c’est une jeune fille de qualité, occupée à une activité comparable à la musique, qui apparaît dans La Dentellière. Et il semble bien que la robuste créature, se détachant sur fond de mur blanchi à la chaux, absorbée dans la préparation d’un pain perdu, soit d’abord une figure nourricière, sorte d’allégorie de la plénitude et de la santé, une Vertu profane exaltée par la grâce de la lumière.
Allégorie de la Foi catholique, une œuvre particulière
Dans ce tableau, Vermeer injecte le vocabulaire suprême de la peinture d’histoire – une figure abstraite incarnant une idée – dans le décor d’une scène de genre précieuse. En lieu et place de jeunes élégantes ou de musiciens se dresse désormais une Vertu dominant le monde, symbolisé par le globe. On reconnaît la Foi victorieuse de l’Hérésie (le serpent).
L’intérieur évoque les églises cachées de Hollande, où les catholiques (comme Vermeer) pouvaient pratiquer leur culte en privé. Le calice, le crucifix, le grand missel ouvert, la couronne d’épines, évoquent une liturgie en acte. Au fond, le Christ en Croix, repris du peintre baroque flamand Jacob Jordaens, invite à une méditation pieuse redoublée. La tapisserie, en manière de rideau, vaut comme métaphore de la révélation chrétienne – mais peut- être également artistique.
Si l’exposition est axée avant tout sur la figure de Johannes Vermeer, au-delà du succès incontestable du peintre dans les collections du monde entier, c’est également pour l’ensemble exceptionnel d’œuvres de l’artiste qui y sont présentées : un tiers des peintures qui lui sont connues ! C’est donc une occasion rare à ne pas manquer, en plus de la possibilité de découvrir que les autres maîtres hollandais ne sont pas en reste face au « Sphinx de Delft » !
– La rédaction de Narthex