De nombreux sentiments animeront les âmes en sortant de l’exposition « Soulèvements », du Jeu de Paume. Mais il est peu probable que quiconque en ressortira inspirée par une nouvelle ferveur révolutionnaire, rebelle, révoltée, ou insurgée.
Ce qui nous soulève ? Ce sont des forces : psychiques, corporelles, sociales. Par elles, nous transformons l’immobilité en mouvement, l’accablement en énergie, la soumission en révolte, le renoncement en joie expansive. Ce sont aussi des formes grâce auxquelles tout cela va pouvoir apparaître, se rendre visible dans l’espace public ». G.Didi-Huberman
Le visiteur rencontre, parmi les premières œuvres de l’exposition, une série de photographies prises par Gilles Carron lors de manifestations étudiantes à Paris en 1968 et de manifestations anticatholiques à Londonderry en 1969. On y voit des jeunes gens les bras tendus, jetant des pavés contre leurs polices respectives. Ce sont des représentations iconiques de soulèvements humains, témoignages de grands conflits sociaux et politiques.
Plus loin dans l’exposition, on découvre une autre œuvre, contemporaine de ces photos : « Optimistic Box no 1 » de Robert Filliou (1968) présente un pavé en grés dans une petite boite en bois étiquetée, ‘thank god for modern weapons’ (dieu merci pour les armes modernes). C’est une œuvre ironique qui trouble la frontière entre art et artefact.
Collection Sylvie et Georges Helft. Photo : Jean de Calan.
L’approche muséographique de l’exposition tient plus de cette deuxième œuvre, invitant le visiteur dans un parcours interrogatif autour ‘des forces qui nous soulèvent’ : forces psychiques, corporelles, sociales, oscillant ainsi entre le figuré et le littéral. Mais la force qu’exerce l’exposition sur le visiteur se résumerait presqu’au soulèvement d’un sourcil (ironique), voire deux (étonné).
Elaborée comme une concrétisation du travail de l’historien d’art et philosophe, Georges Didi-Huberman, l’exposition « Soulèvements » se compose d’une collection hétéroclite allant de gravures de Goya et de Courbet, jusqu’à des œuvres contemporaines : installations, peintures, photographies, documents, vidéos…
Plusieurs œuvres présentées témoignent d’une grande force artistique ou historique. On y trouve par exemple une superbe photographie de Tina Modotti représentant un ouvrier mexicain en figure christique (1928) ou le manuscrit de la «Pétition pour l’abolition de la peine de mort » de Victor Hugo (1855). Individuellement, ces objets nous bousculent, nous poussent à méditer sur la condition humaine et ses mécontentements. Mais la sélection de l’exposition ne favorise pas une réflexion en profondeur, glissant avec légèreté d’une bribe de pensée à une autre.
Les soulèvements adviennent comme des gestes : les bras se lèvent, les coeurs battent plus fort, les corps se déplient, les bouches se délient. Les soulèvements ne vont jamais sans des pensées, qui souvent deviennent des phrases : on réfléchit, on s’exprime, on discute, on chante, on griffonne un message, on compose une affiche, on distribue un tract, on écrit un ouvrage de résistance.» G.Didi-Huberman
Toute l’action que l’on respire dans les photographies de Gilles Carron, tout le combat que l’on ressent à-travers les gravures de Goya semblent être comme des intrus dans les couloirs épurés du Jeu de Paume. En effet, la scénographie ne cherche ni à nous informer sur l’histoire qui nourrit ces œuvres, ni à constituer une ensemble esthétique cohérent.
Ainsi, « Soulèvements » présente des traces de conflits humains, soigneusement prélevées de leur contexte, désarmées, cataloguées, mises sous verre, et présentées au public parisien pour nourrir son chuchotement cérébrale. Le résultat d’ensemble ne vaut pas la somme des éléments qui le constituent.
Alexis de la Ferrière, Chargé de communication, SNPMPI – La Pastorale des Migrants
Pour en savoir plus
« Soulèvements » est une exposition transdisciplinaire sur le thème des émotions collectives, des événements politiques en tant qu’ils supposent des mouvements de foules en lutte : il sera donc question de désordres sociaux, d’agitations politiques, d’insoumissions, d’insurrections, de révoltes, de révolutions, de vacarmes, d’émeutes, de bouleversements en tous genres.
C’est une interrogation sur la représentation des peuples, au double sens — esthétique et politique — du mot « représentation ». L’exposition se fonde sur un travail historique et théorique que Georges Didi-Huberman tente de mener depuis quelques années, notamment à
travers une série d’ouvrages intitulés L’OEil de l’histoire et dont les derniers affrontent la question de l’« exposition des peuples » ainsi que de l’émotion en tant qu’elle serait à ne pas exclure d’une anthropologie politique.
La figure du soulèvement sera déclinée à travers divers médiums : manuscrits d’écrivains, peintures, dessins, gravures, photographies, films. Ceux-ci, parce que la représentation des peuples en mouvements — depuis Griffith et Eisenstein jusqu’aux réalisateurs d’aujourd’hui — est l’une des grandes affaires du cinéma, feront l’objet d’une attention particulière qui donnera sans doute à l’exposition son style particulier.
Le parcours de l’exposition suit un cheminement sensible et intuitif dans lequel le regard peut, cependant, se focaliser sur des « cas » exemplaires traités avec précision, afin d’échapper à tout regard généralisateur, à travers cinq grandes parties :
• ÉLÉMENTS (DÉCHAÎNÉS)
• GESTES (INTENSES)
• MOTS (EXCLAMÉS)
• CONFLITS (EMBRASÉS)
• DÉSIRS (INDESTRUCTIBLES)
Informations pratiques
Soulèvements, au Jeu de Paume jusqu’au 15 janvier 2017
1, place de la Concorde – 75008 Paris
Mardi (nocturne) : 11 h-21 h
Mercredi à dimanche : 11 h -19 h. Fermeture le lundi
Plein tarif : 10 € / Tarif réduit : 7,50 €
Commissariat de l’exposition: Georges Didi-Huberman