Les passages « intranquilles » de Cristina Iglesias à Grenoble

Encore peu connue en France, Cristina Iglesias est pourtant considérée comme l’un des plus grands sculpteurs contemporains espagnols. Jusqu’au 31 juillet 2016, le Musée de Grenoble met un coup de projecteur sur une œuvre onirique et énigmatique qui mêle nature et architecture à l’image des claustras que l’artiste met au point dès la fin des années ’90. Ces parois monumentales réalisées avec les matériaux les plus divers, créent de nouveaux espaces à la fois clos et ouverts et constituent une exploration vertigineuse d’univers parallèles. L’œuvre de Cristina Iglesias trouve ses racines dans la culture ibérique et s’ancre pleinement dans l’époque actuelle. Voyage intérieur.
Publié le 01 mai 2016

Mur XVIII, 1992, Résine et fer, 290 x 250 x 60 cm – vue de l’installation à la Casa França-Brasil, Rio de Janeiro, collection particulière photo: sergio arajo ©ADAGP, Paris 2016 – détail ci-dessous

Si un terme devait résumer le travail de Cristina Iglesias ce serait « ambivalence ». Car à peine il nous semble avoir saisi la vision du monde offerte par son œuvre que déjà elle nous échappe. Ce que l’artiste donne à vivre c’est une expérience contrastée. Par les matériaux où s’affirme un goût pour les textures opposées mais aussi par les impressions mêlées qu’elle suscite. Liant de manière inextricable le plaisir et l’inquiétude.

 

Mur XVIII, réalisée en 1992, sculpture la plus ancienne présentée dans l’exposition, annonce cette tension omniprésente qui se dégage des deux principaux thèmes de l’artiste : l’espace végétal et l’écran architectural ajouré, le treillis. « La grille est de fer forgé au maillages irrégulier fait songer à une clôture de monastère derrière laquelle, à quelques centimètres, se tient une paroi de couleur verte de matière vitreuse […] Le contraste est d’emblée saisissant entre la surface soyeux de cet herbier et l’âpre présence de cette résine de métal » : ainsi l’œuvre attire autant qu’elle rejette. Le regard veut passer outre cet obstacle métallique mais le corps est arrêté. La sculpture prend possession de l’espace, le suggère autant qu’elles le structure, ou mieux, le récrée.

Ses Pavillons suspendus et ses Passages bousculent à nouveau les repères spatiaux, renversent les perspectives. Sur plus de 10 mètres de long, Passage II, faite de dix-sept nattes de paille tressée, dessine dans l’espace un long auvent courbe qui invite à la déambulation.

Sans titre (Passage II), 2002, Raphia, cordes en sisal, 15 éléments, 300 x 125 x 2 cm chacun – Musée national d’art moderne / Centre Pompidou, Paris – Centre de création industrielle photo ©Centre pompidou, MNAM-CCI, DIST.RMN-GP – photo: Philippe Migeat©ADAGP, Paris 2016

Traversée par la lumière, l’écran de fibres végétales projette sur les murs et le sol les lettres d’un extrait de « Vathek » de William Beckford. Sans contrainte ni obstacle, l’œuvre est aussi une traversée du vide : sentiment troublant  d’être entièrement immergé dans la sculpture tout en devant la chercher. Passage II pourrait ainsi constituer le pendant radieux des structures suspendues. Tressé de fil de métal Pavillon suspendu IV, sorte de petit habitacle flottant, happe le regard et le corps et ne laisse que peu d’échappatoire. Ces espaces délimités créent un effet de seuil, transforment les murs en portes ouvertes sur des chemins imaginaires.

Pavillon suspendu IV (Un lieu de tempêtes silencieuses), 2014, Métal tressé et câbles d’acier, 250 x 240 x 320 cm – vue de l’installation à l’Ivorypress Gallery, Madrid Photo: Luis Asin ©ADAGP, Paris 2016

Le lien entre architecture et environnement est le fil invisible de toute l’œuvre de l’artiste espagnole. Les matériaux employés sont aussi le béton, l’acier, le verre et mettent en exergue les rapports de tension propres aux règles architectoniques. Mais, comme pour ses Chambres végétales, les formes sont souvent empruntées à la nature. Elles traduisent un sentiment équivoque d’équilibre fragile et d’harmonie désaccordée. Les bas-reliefs verticaux en métal sont réalisés à partir d’éléments végétaux tels que des branches, des feuilles, des racines, agencés en un réseau dense et serré.

Coulés dans un mélange de résine et de poudre de bronze, les panneaux répétés et assemblés créent de hautes cloisons. Les couloirs sinueux sont ouverts sur le ciel mais n’empêchent pas l’impression indéfinissable d’enfermement et de chaos.

« La topographie intérieure de ces chambres végétales » s’articule autour d’une sorte d’itinéraire que je veux voir emprunté par le spectateur. Certaines offrent un passage entre deux espaces et d’autres barrent la route au fond d’une pièce, faisant naître une sensation ambigüe. On ne sait pas si la pièce continue derrière la végétation ou si l’espace tout entier est bouché… »

CHAMBRE VÉGÉTALE INHOTIM, 2010-2012 – VUE DE L’UN DES CORRIDORS INTÉRIEURS, BELO HORIZONTE, BRÉSIL PHOTO : PEDRO MOTTA ©ADAGP, PARIS 2016

Seulement évoquée par la flore et la faune marine, l’eau prend une place centrale dans le travail de Cristina Iglesias à partir des années 2000. Puits I, premier d’une série développée en 2011, instaure une autre temporalité.

Rêverie proposée sur la nature et ses aspects contradictoires : un monde grouillant de branchages, racines et feuilles contenu dans un bloc cubique de pierre noir et lisse, est lentement submergé d’eau. Une fois le puits rempli, l’eau se retire peu à peu, découvrant ce qu’elle avait noyé.

Cette œuvre « invite à une méditation sur la part sauvage, archaïque, dissimulée derrière toute chose – tout être ?- que les réalisations humaines cherchent en permanence à masquer et qui néanmoins surgit, se révèle à la faveur d’une modification, d’un changement inopiné ».

PUIS I (VARIATION 2), 2011, POUDRE DE BRONZE, RÉSINE, MOTEUR ET EAU, 120X123X123 CM, COLLECTION PARTICULIÈRE ©ADAGP, PARIS 2016

C’est à un voyage intérieur déroutant que nous convie le musée de Grenoble. Les parois opaques qui laissent filtrer la lumière, l’éclat trompeur des reflets, la profondeur opaque et humide des forêts d’où surgit la vie : l’œuvre de Cristina Iglesias est porteuse d’une dualité paradoxale envoûtante.

Informations pratiques
Cristina Iglesias jusqu’au 31 juillet 2016 au Musée de Grenoble
5, place Lavalette
38000 Grenoble
Téléphone : 04 76 63 44 44
www.museedegrenoble.fr

Le musée est ouvert Tous les jours sauf le mardi, de 10h00 à 18h30
Tarifs d’entrée (exposition temporaire et collections permanentes )
Plein tarif : 8 € – Tarif réduit : 5 € – Gratuit pour les moins de 26 ans, pour les détenteurs de la carte d’abonnement et pour tous, le premier dimanche du mois

Visites guidées de l’exposition chaque samedi et dimanche à 14h30 (sauf le 1er dimanche du mois)

Autour de l’exposition http://www.museedegrenoble.fr/1759-autour-de-l-exposition.htm

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