– Pouvez-vous nous parler des origines de ce projet fou ? Vous êtes passionné de Beaux-Arts, vous avez écrit des ouvrages dans ce domaine… Il y a aussi au départ une sorte de défi lancé entre deux amis je crois…
Ces origines sont lointaines. Quand j’étais étudiant, je me souviens d’une rentrée universitaire ; nous étions plusieurs à être revenus barbus des vacances d’été. Du coup j’ai eu l’idée avec de faire une petite réalisation avec mes amis qui reprenait la Cène de Léonard de Vinci. Un plan frontal d’une minute où nous sommes attablés, puis nous nous figeons rapidement dans l’action. L’idée de départ est donc venue de nos barbes ! Quand j’ai commencé mes études aux Beaux-Arts, j’avais très peu de connaissance sur la peinture. L’enseignement était très axé sur le XXe siècle. En dernière année, nous avons fait un voyage en Italie à Florence où j’ai découvert La Maestà de Duccio di Buoninsegna. Cette œuvre m’a laissé une impression durable. Je me souviens très bien que, n’ayant pas une grande culture religieuse, je lisais certains panneaux mais pas l’ensemble de l’œuvre.
Ce qui m’intéresse, c’est parler d’image de manière pédagogique. J’aime montrer au grand public des images que je trouve réussies, sans pour autant avoir l’idée de mettre un discours dessus et expliquer pourquoi. Le fait d’aimer ou pas une œuvre n’est pas toujours de l’ordre du relationnel. Avec mes livres j’ai cette intention de faire découvrir l’art comme ça, de manière intuitive, donner à comprendre assez simplement. Cela ne veut pas dire qu’après, avec sa connaissance, on ne peut pas mettre des mots, du sens et de l’interprétation.
J’ai fait un film qui reprenait une séquence de Sueur froide d’Alfred Hitchcock tourné en plan séquence, caméra fixe, où les comédiens et le décor bougeaient pour faire les différentes valeurs de plan. Les personnages courraient pour sortir du champ sur un plan large, revenaient vers la caméra pour un plan rapproché, se mettaient à quatre pattes et sautaient pour se remettre dans le champ. Je voulais ainsi montrer que tous les déplacements effectués par le cinéma sont absurdes quand on y songe, si on voulait vraiment les éprouver physiquement. J’ai toujours eu ce goût d’éprouver les images.
Après mon voyage en Italie, j’ai voulu fabriquer l’espace de la peinture comme on la voit au XIVe siècle, avant l’arrivée des théories sur la perspective. On se rend compte que les proportions sont différentes, la table trop inclinée, l’entrée toute petite : en fait ce sont des images mais pas véritablement des espaces. J’ai réalisé une Cène, un plan séquence de 30 mn où l’on voit les personnages fabriquer le décor, s’habiller et prendre la pause.
Plus tard, avec un ami, on a eu l’idée de faire quelque chose en split-screen. J’aimais cette idée d’avoir plusieurs écrans sur le même écran. J’avais beaucoup aimé le travail de l’Oulipo avec Georges Perec dans La vie mode d’emploi. Il y avait quelque chose d’assez fascinant dans cette idée d’enlever la façade d’un immeuble et de voir tout ce qui s’y joue en même temps. Cette idée d’une image faite de plein d’images m’a ramené à l’œuvre de Duccio sur laquelle j’avais déjà travaillé.
– A qui voulez-vous vous adresser avec ce film ? Comment voyez-vous l’exploitation et la distribution de Maestà ?
A vrai dire ce ne sont pas des questions que je me pose. Quand je fais un film je ne me demande pas pour qui je le fais. Dans l’absolu je fais des choses pour tout le monde. J’espère en tous cas que cette œuvre n’est pas hermétique et qu’elle permet une approche assez facile. Il n’en reste pas moins que Maestà est un projet complexe. Du coup l’exploitation cinéma est effectuée par des producteurs et distributeurs cinéma. Je trouve qu’il y a du cinéma dans l’objet mais il me semble que Maestà est plus du côté des arts plastiques que du cinéma classique et donc plus destiné à l’exploitation muséale. Peut-être que le public des musées serait plus réceptif que celui des salles. Après, il y a quand même une bande-annonce préparée, des documents écrits sur le film. On peut supposer que les gens qui iront le voir sont disposés à voir un tel film. Maestà sera principalement projeté dans les salles « art et essai » et il est probable qu’il n’y ait qu’un nombre réduit de copie.
– Maestà se présente comme un grand plan séquence d’une heure. Sur le plan technique, comment le tournage s’est-il déroulé ? Par exemple comment avez-vous fait pour donner l’impression de ce plan séquence, pour réaliser les transitions d’une scène à l’autre sans quitter le cadre, pour faire en sorte que les acteurs aient exactement la même posture que les personnages du tableau au moment de la pause ? …
J’ai toujours commencé le tournage par la pause. J’expliquais ce qui se passait dans la scène et tout de suite je plaçais les acteurs dans la position exacte où ils devaient être, comme sur le tableau. Puis à rebours on revenait en arrière pour faire l’entrée de champ. Pour les transitions d’un tableau à l’autre, on tenait compte bien sûr du sens dans lequel ils étaient sortis dans le tableau précédent pour que cela colle dans le raccord. Très souvent les acteurs se faisaient leur propre place en improvisant, en essayant de ne pas trop se gêner.
Chaque panneau était tourné séparément. Nous avons tourné l’été la plupart du temps afin d’avoir une belle lumière naturelle et constante. Chaque décor ne servait qu’une fois et nous avions la journée pour le faire. Au montage final, chaque panneau fut placé l’un à côté de l’autre pour retrouver les déambulations des personnages. L’effet général donne une impression de plan séquence ou, pourrait-on dire, il s’agit de 26 petits plans séquence mis ensemble.
– Le film réalise aussi un beau travail sur la couleur et l’utilisation des tons rouges, la couleur du vêtement du Christ devant ses bourreaux, la couleur de la Passion …
Duccio est un des plus grands coloristes qui soit, même au-delà de Giotto. La composition chromatique de son œuvre est d’une justesse incroyable. J’ai fait en sorte de respecter ces couleurs et les tissus. J’ai voulu garder cette homogénéité chromatique d’origine.
– Parlez-nous aussi du travail sur le son, le choix de ne pas mettre de musique et de choisir en fond une sorte de brouhaha parfois compréhensible parfois incompréhensible…
Vu qu’il y a des centaines de personnages représentés et que l’on est loin de chacun, les figures sont petites ; nous avons donc fait ce choix de ne pas distinguer clairement les paroles. Cela garde aussi l’esprit du tableau. Nous ne sommes pas dans une fiction de cinéma au sens classique du terme mais devant une peinture. Chaque personnage est petit, au sein d’un grand nombre ; il n’y a pas vraiment de proximité avec eux donc il n’y avait pas raison qu’on les entende parler. En montant le film, on s’est aperçu tout de même qu’il manquait parfois un son audible donc on a rajouté des éclats de dialogue, un peu à la manière des films de Jacques Tati dont on a voulu se rapprocher dans le travail sonore.
A suivre…
Propos recueillis par Pierre Vaccaro
Auteur du webzine www.sacrecinema.com
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A savoir…
Maestà, la Passion du Christ sort le 18 novembre en salle. Le film sera aussi présenté au musée le Quai d’Angers ainsi que trois décors du film du 19 mars au 2 avril prochains.
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