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Francis Poulenc à Rocamadour

En août 1936, alors qu’il était en vacances en Corrèze, Poulenc apprit le décès accidentel et violent de son ami le compositeur Pierre-Octave Ferroud. Ayant prévu de se rendre au sanctuaire de Rocamadour, il y fit une expérience forte et décisive : un retour vers la foi de sa famille paternelle d’origine aveyronnaise. De cette station devant la statue de la Vierge Noire sont nées les Litanies à la Vierge noire de Rocamadour, écrites en quelques jours, écho de sa confiance retrouvée traversée de doutes et de révoltes. C’est sans doute pourquoi cette œuvre magnifique de Poulenc nous touche aujourd’hui.
Publié le 16 août 2015
Écrit par Emmanuel Bellanger

La Vierge noire de Rocamadour © rocamadour-compostelle.blog.pelerin.info

La visite à Rocamadour associée à la nouvelle de la mort de son ami fut pour Francis Poulenc une sorte d’illumination qu’il exprime ainsi : « La décollation atroce de ce musicien si plein de force m’avait frappé de stupeur. Songeant au peu de poids de notre enveloppe humaine, la vie spirituelle m’attirait de nouveau. Rocamadour acheva de me ramener à la foi de mon enfance… Le soir même de cette visite à Rocamadour, je commençai mes Litanies à la Vierge noire pour voix de femmes et orgue. Dans cette œuvre j’ai essayé de rendre le côté ‘dévotion paysanne’ qui m’avait si fort frappé dans ce haut lieu. »

C’est la première qualité de ces pages qui s’impose : la simplicité, l’humilité même du chant, le dépouillement presque liturgique de l’écriture vocale, mais aussi la rugosité, l’âpreté de certains accords d’orgue, le jeu contrasté de la transparence du chant et de la violence passagère de l’accompagnement instrumental. Ne peut-on percevoir quelque chose du même genre dans le paysage de Rocamadour ? L’harmonie subtile des couleurs et la dureté inhumaine des rochers, le jeu savant des toitures et la masse des montagnes qui les entourent, les écrase ? Le sanctuaire de Rocamadour est profondément planté au cœur du roc, il semble en être une partie inséparable, comme s’il existait en cet endroit depuis toujours. Pareillement le chant des litanies semble si intimement lié aux paroles qu’il paraît être né avec elles.

Rocamadour http © www.cityzeum.com

Une écoute attentive de cette page – qui est la première œuvre religieuse dans le catalogue de Poulenc – nous invite à nous interroger. L’œuvre respecte intégralement le texte des litanies proposé à Rocamadour. Ce texte suit le plan de toutes litanies : une invocation au Dieu Trinité ouvre la prière, puis suivent les litanies proprement dites que conclue liturgiquement l’invocation à l’Agneau de Dieu.

L’écriture vocale est très simple : à trois voix, toujours verticale (tout le monde chante en même temps les mêmes paroles afin que chacun les comprenne), des harmonies consonantes dans un esprit évidemment liturgique. C’est une des qualités merveilleuses de Poulenc que de parvenir à des œuvres chorales d’une inimitable beauté écrites simplement dans une sorte d’évidence musicale.

Cependant tout n’est pas si transparent que cela : quelques éclats sur certains mots certes, mais surtout un contraste s’impose entre la musique chantée et les interventions instrumentales de l’orgue. Le Poulenc intime avec ses contradictions, ses doutes et ses aspirations, sa soif de pureté dans un monde de violence, ce Poulenc finalement proche de nous se présente tel qu’il est.

Le Poulenc intime avec ses contradictions, ses doutes et ses aspirations, sa soif de pureté dans un monde de violence, ce Poulenc finalement proche de nous se présente tel qu’il est.

Dans cette perspective n’est-il pas tentant d’entendre dans les interventions de l’orgue l’expression du cri de l’auteur, ce cri dans lequel nous nous retrouvons parfois. Une chose étonnante apparaît : alors que l’image traditionnelle de l’orgue est celle d’un instrument céleste, celui qui nous ouvre le ciel par sa position surélevée, son souffle au-delà de tout souffle humain, l’unité de son chant dans la multiplicité de ses tuyaux, voilà que dans cette œuvre, c’est tout le contraire qu’il exprime : à la douceur céleste des voix, il oppose la violence de quelques ponctuations vigoureuses en des harmonies comme un écho sonore des âpres rochers de Rocamadour.

Mais la merveilleuse conclusion de ces litanies de Poulenc sur les invocations à l’Agneau de Dieu ouvrent la musique sur un infini : une longue psalmodie sur un SOL aigu, puis la musique s’éteint – mais ne s’ouvrirait-elle pas plutôt ? – pour s’achever sur un accord à la fois d’une grande douceur mais mystérieux avec sa neuvième qui crée un trouble, comme si rien n’est terminé, mais tout commence…

Pour aider votre écoute, voici le texte :

Seigneur, ayez pitié de nous,
Jésus-Christ, ayez pitié de nous.
Jésus-Christ, écoutez-nous,
Jésus-Christ, exaucez-nous.
Dieu le Père, créateur, ayez pitié de nous.
Dieu le Fils, rédempteur, ayez pitié de nous.
Dieu le Saint-Esprit sanctificateur, ayez pitié de nous.
Trinité Sainte, qui êtes un seul Dieu, ayez pitié de nous.
Sainte Vierge Marie, priez pour nous.
Vierge, reine et patronne, priez pour nous.
Vierge que Zachée le Publicain nous a fait connaître et aimer,
Vierge à qui Zachée ou saint Amadour éleva ce sanctuaire, priez pour nous.
Reine du sanctuaire que consacra saint Martial et où il célébra ses saints mystères,
Reine près de laquelle s’agenouilla saint Louis, vous demandant le bonheur de la France,
priez pour nous.
Rein, à qui Roland consacra son épée, priez pour nous.
Reine, dont la bannière gagna les batailles, priez pour nous.
Reine, dont la main délivra les captifs, priez pour nous.
Notre Dame, dont le pèlerinage est enrichi de faveurs spéciales,
Notre Dame, que l’impitié et la haine ont voulu souvent détruire,
Notre Dame, que les peuples visitent comme autrefois, priez pour nous.
Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, pardonnez-nous.
Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, exaucez-nous.
Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, ayez pitié de nous.
Notre Dame, priez pour nous,
afin que nous soyons dignes de Jésus-Christ.

« Ce que j’aime dans les Litanies, c’est que s’il y a de la grandeur c’est malgré moi car je les ai écrites humbles à tous les points de vue, tant technique d’orgue que vocale. » Francis Poulenc, (les mots soulignés le sont pas le compositeur lui-même).

Emmanuel Bellanger

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