Et si nous prenions au sérieux les paroles que nous prononçons ? Et si ce que nous récitons dans chacune de nos prières était vrai, authentique, correspondait à une expérience réelle ? Notre père qui es aux cieux. Quelle étonnante formule : bien sûr, les cieux ne sont pas exactement le ciel au dessus de nos têtes, mais tout de même, situer la demeure de Dieu au Royaume des cieux exprime le désir de l’homme de se délivrer de la pesanteur et de traverser l’espace. Nous rêvons de dépasser nos doutes et nos ombres, de voir s’ouvrir les cieux, le ciel, l’univers dans ses vastes dimensions et de voler, au dessus de cet univers de limon et de boue, de cette croûte terrestre, de nous détacher de nos racines et de notre humus premier. Notre père qui es aux cieux. Nous savons aujourd’hui envoyer des fusées vers la Lune ou vers Mars et nos avions traversent quotidiennement les nuages pour nous transporter à grande vitesse. Cette réalité nouvelle depuis quelques décennies concrétise par la technologie moderne l’ambition antique d’Icare qui osa le premier imiter l’oiseau et s’envoler mais mourut de son audace démesurée.
Et c’est à cette rêverie millénaire, reprise à la Renaissance par un Léonard de Vinci, puis renouvelée au XXe siècle et aujourd’hui même dans l’art contemporain, qu’est consacrée l’exposition ultime de la Maison rouge à Paris qui fermera ses portes en novembre après quinze ans de travail, de découvertes, de réussites exemplaires. Par un rassemblement d’œuvres contemporaines, modernes, ethnographiques ou brutes, les commissaires, Bruno Decharme, Antoine de Galbert –l’âme et le propriétaire du lieu-, Barbara Safarova et Aline Vidal, nous invitent la déambulation dans un imaginaire aussi singulier qu’ouvert au partage.
Laissons là les semelles de plomb qui nous rivent à la terre, vivons en un instant l’arrachement et l’apesanteur comme l’insaisissable Gino de Dominicis qui tenta réellement de voler par ses propres moyens, avec un humour teinté de dérision, en 1969, dans ce moment où l’utopie reprenait droit de cité. Tout récemment, Agnès Geoffray évoque, avec de savantes retouches sur images, des corps suspension entre ciel et terre, aussi étranges que séduisants. « Rien qui pèse ou qui pose », s’était promis Verlaine, et dans la poésie visuelle comme dans le rythme des mots, la grâce d’un corps sait par moments rejoindre la grâce céleste. Que l’art contemporain d’un Lucien Pelen évoque l’homme en lévitation ou s’essaye, tel Yves Klein, de pratiquer le Saut dans le vide, une conclusion s’impose au fil de cette revigorante exposition : à nous d’essayer, et d’y croire. L’impossible devient possible, le plus lourd que l’air peut s’envoler, et l’homme s’échapper dans l’espace éthéré, pour peu qu’il le veuille. Pour de vrai. Il suffit d’ouvrir les yeux, et de désirer. Désirer réellement.
Paul-Louis Rinuy
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