Elles imprègnent notre corps de regardeur, elles marquent notre sensibilité et nos émotions. En un mot, dans l’évidence plastique de leur modelé et dans la subtilité de leur composition, elles s’imposent. Certains nus se révèlent d’une poignante fragilité, d’autres paraissent difformes dans leur générosité à la Rubens, mais tous ces corps photographiés ne cessent de nous parler de nous-mêmes, dans nos mystères, nos pulsions, nos peurs trop inavouées. « La blessure est à l’origine de mes rencontres, explique la photographe: blessure visible ou invisible avec laquelle vous êtes en sympathie et que vous essayez de découvrir. J’ai le sentiment que les modèles que je choisis sont souvent en rupture avec le conformisme de la société. Briser les tabous demande beaucoup de courage ». Ariane Lopez-Huici brise les canons de la beauté des magazines, les images lisses qui ne disent rien de vrai de l’homme, de cet homme à la fois corps et âme liés en une étrange et vertigineuse association.
Dans chaque salle de l’exposition, les sculptures et les photographies se répondent. Ivresse, la terre modelée explose ici de joie et de force. Elle dit nos envols, nos élans, l’énergie d’une surface gonflée de désirs et de rêves. Comme l’être humain, la sculpture a une peau, dont la vibrante sensualité exprime paradoxalement l’énergie même de la personne. Et la matière se révèle ainsi, jusque dans sa fragilité, dans ses défauts possibles qui sont la clé de sa séduction, éminemment spirituelle.
D’autres sculptures d’Alain Kirili partent plus résolument à l’assaut de l’espace, du vide, elles dessinent dans l’espace les mouvements de leur folle inventivité et suspendent leur composition en une improvisation en quatre dimensions (Fils de fer suspendus). L’instant du mouvement arrêté est celui de la grâce, dans tous les sens du mot. Et, si l’œil remarque alors dans tel ou tel enchevêtrement formel la trace d’un repentir, d’un accident, c’est que la beauté ici ne tient pas à la perfection technique, à la maîtrise formelle, qui se révélerait stérile.
« L’imperfection est pour l’art essentielle car elle est le signe de l’humanité », confie Alain Kirili. L’imperfection même, dans son impétueux élan, dans sa violence et ses excès, dans sa puissance de suggestion, est la clef de voûte de ces parcours croisés d’un couple d’artistes qui exposent ensemble pour la première fois.
Chaque rencontre entre les oeuvres des deux artistes est à contempler, à méditer visuellement, pour faire physiquement l’expérience que « l’imperfection est la cime », selon la formule d’Yves Bonnefoy qui s’éprouve ici dans notre chair
Paul-Louis Rinuy
Parcours croisés. Alain Kirili, sculptures Ariane Lopez-Huici, photographies. Musée des beaux-arts de Caen, jusqu’au 11 mai 2014.
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