C’est l’expérience faite, par Thérèse d’Avila à son adolescence, un an après le décès de sa mère, vers quatorze ans, où elle se met « à se parer et à chercher à plaire », car elle était « fort coquette » (II, 2). Entourée de cousins germains, elle fréquente « des personnes qui, loin de connaître la vanité du monde, s’y précipitent » ; elle devient la confidente d’une parente plus âgée, et, seule sa fierté lui permet de « ne pas perdre son honneur ». Elle « suit ses penchants » avec la complicité des servantes. « Il n’y avait pas trois mois que j’étais dans ces vanités qu’on me conduisit dans un monastère de la ville » (II, 6) comme pensionnaire. Elle continue à recevoir des « messages de gens du dehors » et, de l’avis de son confesseur, il n’y a pas d’offense à Dieu pour qui se dirige vers la voie du mariage. Elle passe un an et demi dans un état d’incertitude entre le choix de la vie religieuse et celui du mariage (II, 2) : « Ma volonté avait beau ne pas encore se résoudre à me faire religieuse, je compris que c’était là le meilleur et le plus sûr des états, si bien que, peu à peu, je me décidai à m’obliger à le prendre. » (III, 5)
« Dès que j’eus pris l’habit, le Seigneur me fit comprendre combien il favorise ceux qui se font violence pour le servir. » (IV, 2)
L’état des couvents dans l’Espagne du XVIe siècle
Thérèse d’Avila entre au Monastère de l’Incarnation d’Avila et prononce ses vœux en 1534, à 19 ans. Elle constate alors que « le(s) monastère n’étai(en)t pas établi(s) sur une grande perfection », car ils n’avaient pas de clôture. « Les honneurs et divertissements mondains (y) sont autorisés. » (VII, 4) Certains monastères observent la règle comme celui de l’Incarnation, où elle se trouve. Il y en a d’autres « où l’on ne garde pas la règle et où il y a deux chemins : l’un de vertu et d’observance, l’autre de manque d’observance (…) C’est le plus imparfait qui est le plus fréquenté. » (VII, 5)
C’est là qu’a dû germer l’idée de Thérèse d’Avila de Réforme du Carmel, car elle écrit : « Tous les malheurs de l’Eglise (viennent de) ceux-là mêmes qui devraient être des modèles de vertu pour tous (et qui) ont effacé le travail dont l’esprit des saints de jadis avait marqué les ordres religieux. » (VII, 5)
Elle-même succombe à cette tentation de la facilité d’autant plus qu’elle est licite. La prière vocale d’obligation vient peu à peu remplacer l’entretien qu’elle avait avec Dieu dans l’oraison mentale. Se sentant indigne de l’oraison, elle en vient à ne plus prier et se réfugie dans des raisonnements non dénués de casuistique. « Et un jour où j’étais avec une personne dont je venais de faire la connaissance (…) je vis le Christ avec les yeux de l’âme qui me fit comprendre avec sévérité combien il le déplorait. » Cependant, ne trouvant alentour qu’encouragement à cette fréquentation, « je repris ce commerce et en fis autant avec d’autres par la suite, car, pendant des années, je me suis livrée à cette récréation pestilentielle. » (VII, 7) Elle interprète comme un avertissement divin l’apparition incongrue d’un crapaud au cours d’une de ces conversations galantes : « Un jour où, une fois de plus, nous étions ensemble, nous vîmes venir à nous une espèce de crapaud, énorme (…) L’effet qu’elle fit sur moi ne me semble pas sans mystère ; et je ne l’ai jamais oublié. » (VII, 8)
Rôle de l’oraison dans le combat spirituel
Elle reprend toutefois l’oraison, après l’épreuve du décès de son père et sur les conseils d’un dominicain, et elle entre dans ce combat spirituel qu’elle va mener dix-huit ans sur ses vingt huit ans de vie religieuse au monastère de l’Incarnation : « La vie que je menais était fort pénible, car, dans l’oraison, je comprenais mieux mes fautes. D’un côté, Dieu m’appelait, de l’autre, je suivais le monde.» (VII, 17)
Elle a alors l’intuition de la communion des saints et du Corps mystique du Christ. L’entraide spirituelle où l’on prie les uns pour les autres lui apparaît l’équivalent de l’amitié humaine : « Ceux qui servent Dieu doivent s’épauler les uns les autres pour aller de l’avant, tant on trouve bon de vivre au milieu des vanités et des satisfactions mondaines. » (VII, 22) N’ayant trouvé de « secours à peu près nulle part, sauf en Dieu », elle découvre l’oraison mentale qui « n’est rien d’autre qu’un commerce d’amitié où l’on s’entretient seul à seul avec celui dont nous savons qu’il nous aime. » (VIII, 5) La prière est, selon elle, « la porte des faveurs du Seigneur » (VIII, 9), à condition de la laisser ouverte. Puis son oraison s’approfondit dans la contemplation de la statue du Christ aux plaies de l’oratoire.
« Je goûtais tout particulièrement l’oraison du jardin des Oliviers : c’était là que je lui tenais compagnie. » (IX, 4). Après la lecture des Confessions, où elle « crut se reconnaître », commence alors, dans le Livre de la vie (X à XXII), la deuxième partie : le traité des oraisons.