Fig. 1 – Vue de l’exposition sur le site des ruines de la cathédrale de Hamar, lors de l’ouverture, 22 août 2009 © Johnny Kreutz
La cathédrale, détruite en 1567, est désormais recouverte par une structure en verre conçue par Kjell Lund et Nils Slaatto, réalisée en 1999 ; voir une photographie de l’extérieur
Lors d’un séjour en Grèce il y a une vingtaine d’années, sur l’île de Kalimnos, le norvégien Terje Storli, fit une étrange découverte : sur la devanture d’un magasin, un panier rempli de petits reliefs en métal aux représentations diverses : une oreille, une jambe, un cœur, une femme, une maison… Intrigué, il en fit spontanément l’acquisition de quelques-uns, pénétrant ainsi dans le monde fascinant des objets votifs. De cet intérêt est né le projet d’une exposition en Norvège, intitulée « TAMA – offrandes votives et rites de crise » [TAMA – offergaver og kriserite], qui « porte sur le don et le contre-don, sur l’espoir, la foi et la gratitude d’avoir reçu de l’aide afin de pouvoir surmonter les défis et les dangers que nous rencontrons dans la vie »1. D’abord installée parmi les ruines de la cathédrale de Hamar (22 août – 18 octobre 2009), l’exposition a ensuite été visible dans les locaux de l’archidiocèse de Trondheim/Nidaros (14 novembre 2009 – 14 février 2010). L’originalité repose ici sur le fait que les ex-voto ne sont pas présentés seuls : ils sont juxtaposés à des œuvres contemporaines, créées pour l’occasion, par dix-neuf artistes sélectionnés par Storli. L’exposition ne se voulait pas uniquement anthropologique, car cela aurait favorisé un regard distant sur les ex-voto, déjà d’ordinaire considérés comme des objets exotiques dont la production et l’utilisation n’ont plus lieu d’être dans la Norvège du 21ème siècle. Les lieux choisis – deux anciens lieux de pèlerinage – et la proximité des œuvres d’art contemporaines influent sur la perception des offrandes votives. Cette exposition et le présent article sont l’opportunité de découvrir – ou de redécouvrir – une pratique millénaire et de l’envisager dans la perspective de l’art contemporain.
- Ex-voto, tamata, offrandes votives…
Le titre de l’exposition, Tama (pluriel tamata), est un terme grec qui désigne une forme d’offrande votive en usage principalement dans l’Eglise orthodoxe grecque. Il s’agit de manière générale de petites plaques de métal en relief, offertes à l’icône d’un saint ou à un reliquaire. Sur la plaque est représenté le sujet de la prière à laquelle est voué l’objet. Par exemple, un boiteux souhaitant être soulagé de son mal offre une plaque sur laquelle est figurée une jambe, explicitant ainsi par un procédé visuel et matériel le symptôme pour lequel il adresse une prière et fait un don ; l’aveugle, quant à lui, offrira une plaque sur laquelle sont représentés des yeux, comme le montre la photographie ci-dessous.
Fig. 2 – Tamata placés près d’une icône de Sainte Paraskeva en Crète, 2001. La sainte, connue pour guérir les aveugles, tient une plaque avec deux yeux dans sa main gauche. L’un des reliefs métalliques votifs représente justement une paire d’yeux. Source : Wikipédia
De tels objets sont également appelés « offrandes votives » ou « ex-voto ». Cette dernière expression, signifiant « d’après le vœu » en latin, était souvent inscrite sur les plaques et objets votifs ; « Votif » provenant donc du latin votum, « vœu ». Le vœu établit ici une relation contractuelle entre celui qui profère la demande et celui qui l’exauce, le contrat votif fonctionne ainsi sur la base de la relation do ut des, qui, dans le contexte qui nous intéresse, peut être entendue comme suit : « je donne la représentation de mon symptôme en sorte que Tu donnes la réalité de sa guérison »2. Témoin d’un vœu, l’ex-voto a deux fonctions différentes. Il symbolise, d’une part, la formulation d’un vœu, dans quel cas l’objet votif est offert au saint ou à la divinité en même temps que la prière, dans l’espoir de sa réalisation. D’autre part, on appelle également ex-voto des offrandes qui viennent prendre place dans un lieu consacré à la suite de la réalisation d’un vœu ou d’une prière et dont la fonction est de remercier le saint à qui la prière était adressée. Ainsi, on trouve par exemple dans l’église Notre-Dame-de-la-Garde de Marseille, de nombreuses plaques qui commémorent des souhaits exaucés, et qui sont des « plaques votives » (voir des images).
Comme le montre les plaques de Notre-Dame de la Garde, mais aussi les objets trouvés par Storli en Grèce il y a quelques années, de telles pratiques n’appartiennent pas qu’au passé et à des cultures non-occidentales. La trans-historicité des ex-voto est l’une de leurs caractéristiques majeures. Probablement présents depuis le Paléolithique, ces objets apparaissent depuis (sauf exemple contraire) dans toutes les cultures, à toutes les époques. De tout temps, les hommes ont donc eu besoin, en période de crise, de faire appel à l’intercession et l’aide divine. Et c’est bien là ce que le titre de l’exposition précise également : « offrandes votives et rites de crise », situant d’emblée les ex-voto dans une relation, souvent très personnelle, entre : crise (maladie, accident…) – espoir et foi (prière, vœu) – résolution de la crise – et remerciement. Cette aide est précieuse si l’on pense, avec l’artiste Eva Berge (participant à l’exposition TAMA), qu’« il y a beaucoup de peine et de souffrance sur terre »3.
Fig. 3 (à gauche) – Pieds votifs, époque romaine impériale, Louvre, calcaire, trouvés à Chypre
Fig. 4 – Membres votifs, dans une salle des ex-voto, El Salvador. Photographie : David Byrne, 2010 (davidbyrne.com)
Les lieux choisis pour l’exposition TAMA ne sont pas anodins car ils possèdent un lien concret avec la pratique des offrandes votives. L’ancienne cathédrale de Hamar, au nord d’Oslo, et celle de Nidaros (l’ancien nom de la ville de Trondheim), où le saint patron de la Norvège, saint Olav, est enterré et juste à côté de laquelle se trouve l’archidiocèse, étaient à l’époque médiévale, et sont toujours aujourd’hui, dans une certaine mesure, des lieux de pèlerinage, dans lesquels de très nombreux objets votifs ont été déposés. Par exemple, le « doigt du diable » (Djevelens finger), un doigt en argent, a été retrouvé en 1925 parmi les pierres de la cathédrale en ruine d’Hamar. Sa présence dans ce lieu peut s’expliquer comme « un souhait de proximité physique avec le pouvoir sacré de ce lieu »4. En effet, cette proximité avec la présence divine, et donc son pouvoir, est essentielle dans la pratique des offrandes votives. Les lieux de pèlerinage le sont souvent devenus grâce au récit des miracles qui y furent été accomplis et qui sont interprétés comme la preuve d’une présence particulièrement forte ou active de la divinité. De tels lieux ont donc été et sont toujours extrêmement appréciés pour y déposer des offrandes, y exprimer des vœux ou la gratitude d’un vœu exaucé.
En ce qui concerne leur aspect formel, les ex-voto peuvent être exécutés dans des dimensions et des matériaux très divers : ils sont soit de taille réduite par rapport à leur modèle, soit grandeur nature ; ils sont parfois produits en masse, mais peuvent aussi être moulés sur les individus eux-mêmes ; ce sont des objets en cire, métal, bois, ce sont aussi parfois des tableaux peints ou des plaques de marbre. Les offrandes votives peuvent être figuratives, complètement abstraites, ou uniquement textuelles ; elles peuvent également être l’objet réel lié au vœu qui a été exaucé (par exemple des béquilles que l’on voue une fois qu’elles ne sont plus nécessaires) ou une somme d’argent, un bâtiment entier… Dans la plupart des cas, les formes représentées identifient le problème à résoudre (ou le problème résolu), le symptôme à guérir (ou le symptôme dont la guérison a été obtenue), il y a donc un lien identificatoire fort entre l’objet du vœu et l’objet offert en gage ou en remerciement : ils se « ressemblent ». Même une masse informe de cire peut en réalité être de l’ordre de la ressemblance ; il a par exemple été montré que de telles masses votives n’étaient pas aléatoires, mais fonctionnaient sur un rapport identificatoire (par exemple, le poids de la forme en cire correspond au poids exact de la personne pour qui est offert l’objet)5.
L’efficacité des objets votifs reposent donc sur trois principes : le principe contractuel (l’échange réciproque, vœu/offrande), le principe topographique (l’exceptionnelle présence sainte dans le lieu sur lequel l’objet est déposé), et le principe identificatoire ou de ressemblance (l’identification entre l’objet du vœu et l’objet physique symbolisant le vœu). Autour de ces caractéristiques, c’est une relation très personnelle à la divinité et aux saints qui prend forme, une relation tellement personnelle qu’elle s’est souvent épanouie en-dehors du contrôle des institutions religieuses.
Fig. 5 (à gauche) – Objet votif exposé lors de TAMA, voiture, plaque métallique, origine : Grèce, 20ème siècle. Collection de Terje Storli © Morten Myhre Løberg
Fig. 6 – Objet votif exposé lors de TAMA, jambe, plaque métallique, origine : Grèce, 20ème siècle. © Terje Storli
Ce qui réunit ces objets extrêmement disparates et transhistoriques est bien entendu leur fonction votive, mais aussi peut-être, leur défaut d’évolution et de progression stylistiques, et leur trop-plein de piété populaire (ce ne sont « même pas » des objets liturgiques), ce qui a pour conséquence de les exclure du champ des objets d’art, les renvoyant loin du domaine des historiens de l’art : « Les images votives, écrit Georges Didi-Huberman, sont organiques, vulgaires, aussi désagréables à contempler qu’elles sont abondantes et diffuses. Elles traversent le temps. Elles sont communes à des civilisations fort disparates. Elles ignorent le clivage du paganisme et du christianisme. En réalité, cette diffusion même constitue leur mystère et leur singularité épistémologique : objets rebattus pour l’ethnologue, les images votives semblent tout simplement inexistantes pour l’historien de l’art »6. Ce que confirme aussi l’historien de l’art norvégien Gunnar Danbolt dans son essai pour le catalogue de l’exposition TAMA : « Aucun de ses objets est ce que nous appelons communément des objets artistiques – dans tous les cas selon les critères modernistes »7. L’initiative de Terje Storli, avec l’exposition TAMA, possède précisément l’immense mérite de mettre en relation ces objets dépréciés par le monde de l’art avec d’autres, qui ne sont précisément que des œuvres d’art.
- Le lien perdu avec les pratiques votives et le rôle des œuvres d’art contemporain
Si la pratique des offrandes votives est quasiment inconnue dans la Norvège actuelle où elle apparaît comme un « phénomène exotique »8, c’est notamment parce qu’elle fait partie des coutumes que les acteurs de la Réforme ont tenté d’éliminer dès le 16ème siècle, puisque considérées soit comme des habitudes païennes soit comme un commerce religieux papistique. Il semble cependant qu’en Norvège, les objets votifs ont discrètement continué d’être déposés dans les lieux sacrés jusqu’au 19ème siècle. Mais la sécularisation aidant, cette pratique s’efface ensuite complètement de la mémoire collective, pour n’être désormais qu’uniquement connue des anthropologues et des curieux. Comme l’exprime le commissaire de l’exposition, « ramener des ex-voto en Norvège c’est offrir le fruit défendu. L’offrande aux pouvoirs supérieurs relève d’une ancienne et naïve superstition que nous avons déconstruite, dont nous avons dépassé le stade » et il continue, plus loin, « Les ex-voto et leur réalité ont disparu de la vue et des esprits. La dévotion et l’espoir qu’ils recevaient ont été substitué par le tabou et la honte »9. Exposer des objets votifs contemporains, sans qu’ils soient perçus comme des objets distants et appartenant nécessairement à une culture différente, représentait donc un défi majeur. L’accompagnement des ex-voto par les œuvres d’art créées par des artistes norvégiens contemporains est la manière choisie par Storli pour rendre ces objets plus proches du visiteur ; cette juxtaposition doit pouvoir faire naître, par proximité, une perception différente et renouvelée des ex-voto.
Fig. 7 – Gunnar TORVUND, Liggjande, lyttande [Couché, écoutant], épicéa, L : 3 m
© Terje Storli
Comme nous le préconisent Gunnar Danbolt et Terje Storli, il faut peut-être adopter une attitude similaire à celle de la grande sculpture de Gunnar Torvund dont l’oreille est collée au sol ; c’est-à-dire qu’il faut écouter les tréfonds de la terre qui ne sont autres que nos propres profondeurs intimes, et peut-être alors pourrait-on « entendre quelque chose de ce qui nous concerne tous »10 et envisager les ex-voto comme une pratique humaine et universelle, plutôt qu’exotique. En refusant une présentation muséale des objets votifs « avec des interprétations finies et des panneaux explicatifs »11, l’objectif était d’offrir la possibilité d’une expérience sensuelle et sensorielle des ex-voto, au détriment de leur compréhension intellectuelle et académique. Parmi les ruines de la cathédrale d’Hamar, les ex-voto exposés étaient répartis en treize vitrines, un nombre en lien avec les treize autels dédiés à l’époque médiévale à différents saints et dont on a trouvé les traces archéologiques dans la cathédrale. Les œuvres étaient disposées librement autour de ces vitrines, laissant le visiteur parcourir le site en toute liberté. Ces œuvres contemporaines ouvrent un accès différents vers les objets de la piété populaire. Chacune d’entre elles est certes un commentaire sur les ex-voto, puisque les œuvres ont été créées en lien avec les petits reliefs métalliques, mais un commentaire muet qui n’est ni scientifique ni rationnel. Il est intéressant de remarquer que dans leur ensemble, ces créations « reflètent, selon Storli, le caractère individualiste et multiforme de la coutume votive »12, car l’art contemporain, comme l’offrande votive, est une pratique très personnelle. Les œuvres reflètent également le fait que « les offrandes votives sont une expression de notre commune nature humaine »13 et que cette pratique, finalement ancrée en l’être humain, semble archétypale.
Il existe néanmoins une différence fondamentale entre les productions de l’art contemporain et celles liées à la pratique votive : les ex-voto « sont avant tout des objets d’usage pour ceux qui les utilisent. Une œuvre d’art est au contraire rarement quelque chose d’utilisable »14. L’existence des objets votifs se développe dans un cadre précis qui en définit le caractère et la signification ; en revanche, la sécularisation de la pratique artistique a favorisé l’effacement de la valeur d’usage des œuvres d’art, donnant notamment naissance à la conception de « l’art pour l’art », et à l’histoire de l’art comme histoire de l’évolution des styles. Il est donc extrêmement intriguant de voir se côtoyer, d’une part, des objets qui n’ont pour raison d’être que la prière qu’ils symbolisent et dont la valeur esthétique est quasiment toujours considérée comme nulle, et d’autre part, des œuvres qui a priori sont leur propre raison d’être et refusent toute interprétation définitive. C’est en effet une caractéristique de l’art contemporain (19ème- 20ème siècle) : « il ne se laisse jamais saisir ni appréhender de la même façon qu’une pomme ou un écureuil. Il y a quelque chose d’ambigument insaisissable dans l’œuvre d’art qui fait que quand nous croyons l’avoir emprisonnée dans un quelconque tissu de significations tout fini toujours par tomber à plat »15.
Comment les œuvres présentées ici entrent-elles alors en relation avec les objets votifs présentés dans le même espace ? Quel est le lien entre les deux types d’artefacts ? De quelle manière les artistes ont-ils utilisé ces objets comme source d’inspiration ? Scepticisme accompagné de fascination, commentaire anthropologique et comparaison avec des pratiques séculaires, lien avec l’offrande qu’est la célébration de l’Eucharistie… face à cette multitude d’attitudes reflétant deux pratiques très personnelles qu’il appartient au spectateur de relier, j’ai simplement choisi ici de citer les textes écrits pour le catalogue par quatre des dix-neuf artistes ; ces citations suggérant quelques pistes de réflexion quant aux liens unissant l’art contemporain et les ex-voto.
Scepticisme et fascination – Beth Wyller
« Je ne crois ni en Dieu ni à une vie après la mort. La tradition votive est donc, dans son origine, étrangère et inactuelle, je vais chez le docteur quand j’ai mal au ventre ou au doigt. […] Mais les ex-voto en tant qu’expressions me touchent et m’émeuvent, un art de tous les jours populaire, qui avec son langage direct et simple représente quelque chose de profondément humain. […] De cette manière, ils sont pour moi universels et actuels, indépendamment de leur intention originale » (catalogue, p. 51 ; traduit du norvégien par l’auteur)
Fig. 8 – Beth WYLLER, Torso med nyrer [Torse avec reins], 2007,
faïence, H : 28 cm © Terje Storli
Les ex-voto : un commentaire sur la condition humaine – Brita Skybak
« J’ai choisi pour cette exposition de travailler avec des squelettes. […] Une partition pour toute sorte de musique, pensée comme un rite de crise permanent ; une sorte de partition quotidienne pour ce que c’est qu’être humain » (catalogue, p. 39).
Fig. 9 – Brita SKYBAK, Partitur I, Partitur II, Partitur III, 2009 © Terje Storli
Pèlerinages religieux et séculaires – Morten Myhre Løberg
« La thématique [de son œuvre] combine les offrandes votives grecques avec des études de la route du pèlerinage entre Oslo et Nidaros, plus précisément localisé à quelques kilomètres du chemin à Ringsakerfjellet, Hedmark. Cela se trouve dans la même région que celle où « Birkebeinerrennet » [un festival de ski qui est aussi une commémoration] se passe l’hiver, ce qui est également représenté sur l’un des panneaux de motifs. Faire « Birkebeineren » a pour beaucoup une dimension qui rappelle celle de la problématique religieuse » (catalogue, p. 55)
Fig. 10 – Morten MYHRE LØBERG, Uten tittel [Sans-titre], photographies
sur plexiglas, chaque panneau : 110 * 150 cm
© Johnny Kreutz
La pratique artistique, une pratique votive séculaire ? – Kjell Torriset
« Les offrandes votives sont publiques, mais personnelles et sont déposées près de l’autel, en tant qu’acte coutumier de foi envers Dieu et de remerciement pour une faveur. L’artiste moderne professe aussi sa foi à travers le travail et la production de l’œuvre, car l’art est l’espoir manifesté, et l’œuvre est donc aussi dans le meilleur des cas investie de la foi en l’espoir » (catalogue, p. 63).
Fig. 11 – Kjell TORRISET, The Service, 2009, 30 assiettes en porcelaine, Ø 36 cm, sur une table en bois ; installation dans les ruines de la cathédrale de Hamar
© Terje Storli
- Pour conclure…
Il me semble qu’une telle exposition, si elle montre, bien entendu, l’intérêt pour la pratique populaire des ex-voto, est également un indicateur de l’existence en Norvège du besoin et de la recherche d’une foi et d’un rapport au divin plus sensuels, c’est-à-dire s’adressant autant au corps et aux sentiments qu’à l’intellect. L’intérêt renouvelé et grandissant pour les pèlerinages en Scandinavie mais aussi la réintroduction des cierges dans les églises luthériennes sont des éléments qui vont dans le sens de cette interprétation.
D’autre part, l’exposition TAMA est aussi, dans une certaine mesure, le témoin de la recherche contemporaine de racines culturelles, qui encouragent l’homme à reconsidérer des pratiques millénaires qu’il avait jusque là déclassées et ignorées à cause de leur naïveté et de leur inactualité. Grâce à cette exposition, c’est un regard neuf porté sur les ex-voto qui est encouragé, comme le précise à plusieurs reprises Terje Storli. Mais la proximité de ces objets n’influence-t-elle pas, ne modifie-t-elle pas, aussi la perception des œuvres d’art ? Serait-il possible d’analyser ces œuvres, d’ordinaire considérées comme autonomes, selon les critères et la temporalité propres aux ex-voto ?
Enfin, le fait que les dix-neuf artistes sollicités par Terje Storli aient accepté d’emblée et avec enthousiasme de participer à ce projet portant sur la foi et plaçant leurs œuvres dans des lieux fortement liés à la religion, semble indiquer qu’au sein de l’art contemporain les limites – entendue comme éléments imposant à l’œuvre d’art un contexte en partie déterminé et déterminant – jouissent d’une appréciation renouvelées.
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Les artistes participants :
Gunnhild Bakke, Eva Berge, Marianne Bratteli, Bård Breivik, Barbera Czapran, Randi Eilertsen, Axel Ekwall, Erik Annar Evensen, Jon Gundersen, Kurt Hermansen, Karen Klim, Annabeth Kolstø, Morten Myhre Løberg, Brita Skybak, Kari Steihaug, Kjell Torriset, Gunnar Torvund, Terje Uhrn, Beth Wyller
Sources :
Terje STORLI (dir.), TAMA – offergaver og kriserite, catalogue de l’exposition, Norvège, Cal Trykk, 2009
Site internet de l’exposition, avec le catalogue en ligne (en norvégien) et un diaporama de photographies de l’exposition sur le site des ruines de la cathédrale d’Hamar : http://www.terje-storli.net (dernière consultation : 7 mars 2010)
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Notes
1. Terje Storli, TAMA – offergaver og kriserite, catalogue de l’exposition, Norvège, Cal Trykk, 2009, p.7, traduit par l’auteur du norvégien (idem pour toutes les citations suivantes)
2. Georges Didi-Huberman, Ex-voto. Image, organe, temps, Paris, Bayard, 2006, p. 95
3. Eva Berge, in Terje Storli, 2009, op. cit., p. 53
4. Terje Storli, ibid. p. 23 : « et ønske om fysisk nærhet av den hellige kraften på stedet »
5. Georges Didi-Huberman, 2006, op. cit. p. 73 et suiv. Une pratique appelée « contrepoids »
6. Ibid. p. 7
7. Gunnar Danbolt, ”Votivgaver til kunst”, in Terje Storli, 2009, op. cit. p. 65 : « Ingen av disse gjenstandene er hva vi vanligvis kaller kunstobjekter – i hver fall ikke ut fra modernistiske kriterier »
8. Terje Storli, 2009, op. cit. p. 11 : ”eksotiskefenomen”
9. Ibid. p. 11 : « Å bringe lovegaver hjem til Norge er å by på forbudenfrukt. Ofringen til høyere makter tilhører gammel, naiv overtro vi har utyddet, er passert stadium » et plus loin : ”Offergavene og deres virkelighet er forsvunnet fra synn og sinn. Hengivenheten og håpet de ga ble erstattet med tabu og skam”
10. Ibid. p. 11 : « kan det være for å høre noe som angår os salle »
11. Ibid. p. 11 : « med ferdige tolkininger og forklarende plakattekster »
12. Ibid. p. 18 : ”avspeiler loveskikkens individualistiske, mangeartede karakter”
13. Ibid. p. 11 : Lovergavene er et uttrykk for vår felles menneskelige natur »
14. Ibid. p. 37
15. Gunnar Danbolt, op. cit. p. 69 : ”den aldri lar seg gripe og begripe på samme måte som et eple eller et ekorn. Det er noe tvetydig unnvikende ved kunstverket som gjør at det alltid glipper når vi tror at vi har fanget det op i ett eller annet meningsgarn”