À partir d’environ 950 – au moment de la conversion au christianisme du roi et de son royaume – le Danemark se couvrit d’églises. On ne conserve cependant rien de ces premières églises puisqu’elles étaient en bois ; c’est uniquement dans la seconde moitié du 11ème siècle que les édifices religieux sont construits en pierre. Le dessin placé ci-dessous permet de voir ce à quoi ressemble une église danoise typique.
tårn | tour |
skib | nef |
våbenhus | salle des armes (entrée |
kor | choeur |
sakristi | sacristie |
apsis | abside |
ill. 1 : plan d’une église danoise typique © repris de N.M. Saxtorph, Jeg ser på kalkmalerier, 1970, p. 65
On compte aujourd’hui 1.800 églises médiévales conservées au Danemark1. Un grand nombre d’entre elles recèlent en leur intérieur un véritable trésor ; je veux parler des fresques qui durant le Moyen Age ont recouvert et animé les murs des églises. Pendant plus de quatre siècles, cette véritable « Bible en images » s’est développée et modifiée selon les goûts et les besoins des époques et des lieux. Néanmoins, on ne connait de nouveau ces peintures murales que depuis un siècle et demi. Elles ont en effet été presque quasiment toutes recouvertes par une couche de peinture blanche à partir du 16ème siècle, soit dans le souci de suivre les conseils des réformateurs en matière d’image lorsque les thèmes représentés n’étaient pas conformes, soit simplement parce que le goût de l’époque ne correspondait plus à celui qui avait donné naissance aux fresques. En 1826, lorsque qu’est découverte pour la première fois une fresque médiévale, dans l’une des chapelles de la cathédrale de Roskilde2, un intérêt nouveau s’éveille pour ces témoins d’une époque lointaine. Durant la seconde moitié du 19ème siècle, de nombreuses fresques sont remises à jour, certaines sont documentées puis de nouveau recouvertes, d’autres sont partiellement restaurées, d’autres enfin sont repeintes par les restaurateurs plus ou moins fidèlement.
Il n’est pas question ici de retracer de façon exhaustive l’évolution des fresques médiévales mais simplement de présenter les grandes périodes stylistiques et leurs caractéristiques.
Les fresques romanes : vers 1080- vers 12503
Roman tardif- pré-gothique : vers 1175- vers 1375
Les fresques gothiques : vers 1375- vers 1475
Les fresques du gothique tardif : vers 1475-vers 1550
Les premières fresques sont inspirées des mosaïques italiennes et byzantines des 5ème et 6ème siècles. Le Christ en majesté de l’église de Vester Broby (daté d’environ 1175) en est un bon exemple. L’abside est entièrement recouverte par un fond coloré bleu, sur lequel est représenté le Christ trônant dans une mandorle. Cette iconographie est courante chez les premières générations de chrétiens ; dans cette période de transition de la religion païenne à la religion chrétienne, les clercs préfèrent mettre en avant dans les églises des images du Christ victorieux, vainqueur, qui ne laissent pas de place au doute. Les principales couleurs utilisées par les peintres de l’époque romane sont le bleu, le rouge et le vert, ainsi que parfois le jaune. Hormis le Christ en majesté, on trouve aussi des représentations de la vie de Jésus, de Marie et des saints. Les personnages sont généralement caractérisés par leur aspect « rigide », ou figé. Comme Niels M. Saxtorph le précise, on connait d’autres représentations contemporaines qui sont toutes en mouvement et animées, ce qui montre que la rigidité des représentations religieuses est une caractéristique voulue et non un manque de savoir-faire4.
Peu à peu, les personnages saints s’animent et les fresques deviennent plus vivantes. Dans l’église de Kirkerup, on trouve un bel ensemble de fresques datées de vers 1315-1335, c’est-à-dire du début de la période gothique. Le fond sur lequel s’épanouissent les figures n’est désormais plus coloré ; il est au contraire laissé blanc, ornementé de discrètes étoiles. Les scènes représentées donnent peu à peu plus de place à la fantaisie et aux détails, une caractéristique qui se développe tout au long de l’époque gothique. Il est évident que les caractéristiques stylistiques changent progressivement, et même lentement. En 1375-1400 – pendant la période gothique donc – on peut encore trouver au Danemark des fresques dont le style renvoie à l’époque romane, telles celles de l’église de Skørping. Tandis que pendant la même période gothique, les fresques de l’église de Højelse, datées d’environ 1425-1450, sont déjà presque représentatives des caractéristiques du gothique tardif, avec l’ « horreur du vide » qui pousse les peintres à remplir chaque espace disponible.
Les fresques datant du gothique tardif (vers 1475- vers 1550) représentent la majorité des peintures murales médiévales aujourd’hui connues et conservées5. C’est le cas de celles de l’église de Keldby qui sont remarquables par leur conservation, leur unité et leur étendue. Keldby est une petite commune qui se trouve sur l’île de Møn (Moen), au sud de Sjælland. L’édifice bâti au début du 13ème siècle est classique dans son organisation architecturale : une nef unique et un chœur orienté à l’Est ; une tour construite à la fin du 15ème siècle par laquelle l’entrée se fait, et une sacristie, ajoutée vers 1700, dans le prolongement du chœur.
ill. 2 : Intérieur de l’église de Keldby, vue vers le choeur à l’est © C. Levisse
ill. 3 : l’église de Keldby, extérieur © C. Levisse
Toutes les fresques visibles dans cette église n’appartiennent pas au gothique tardif. Les fresques du chœur sont de l’époque romane tardive (seconde moitié du 13ème siècle) et celles des murs latéraux de la nef sont datées de l’époque gothique (première moitié du 14ème siècle). C’est sur les voûtes qui surplombent la nef que se déploient les fresques datant du gothique tardif. Elles ont été réalisées par le « maître d’Elmelunde » vers 1480. Cette dénomination désigne un atelier dont le style est reconnaissable et ayant travaillé dans plusieurs églises .
Sur la voûte couronnant la première partie de la nef, à son extrémité ouest (vers l’entrée), sont représentés :
-Hérode et le massacre des innocents (dans le coin inférieur droit de la photographie ci-dessous, c’est-à-dire vers l’est).
–La fuite en Égypte (vers le sud, dans le coin supérieur droit ; hors champ ici) et sur la droite la création d’Ève (les liens hypertextes renvoient vers de meilleures photographies)
–La Chute et l’expulsion du jardin d’Eden (à l’ouest, hors-champ)
-Adam et Eve, désespérés, reçoivent de l’Ange des outils pour cultiver le sol (sur le côté gauche de la photographie ci-dessous, orienté vers le nord) ; sur la droite on voit un homme riche et un homme pauvre qui prient de chaque côté du Christ en croix, l’un des motifs favoris du maître d’Elmelunde .
ill. 4 : église de Keldby, fresques de la voûte, partie ouest, vers 1480, maître d’Elmelunde
© C. Levisse
ill. 5 : détail de l’illustration 4, le Christ en croix entouré de l’homme riche et de l’homme pauvre en prière, maître d’Elmelunde, vers 1480 © C. Levisse
Sur la voûte de la partie est de la nef (vers le chœur), sont représentés :
–Le Jugement dernier (partie supérieure de la photographie ci-dessous, orienté vers l’est)
–L’Annonciation et la Visitation (sur le côté droit de la photographie, orienté au sud)
–La Nativité et l’Adoration des Rois mages (dans la partie inférieure de la photographie ci-dessous ; orienté vers l’ouest)
–Le baptême de Jésus par saint Jean-Baptiste et la présentation de Jésus au temple (orienté au nord)
ill. 6 : église de Keldby, fresques de la voûte, partie de la nef la plus à l’est, maître d’Elmelunde, vers 1480 © C. Levisse
Ces fresques sont fabuleuses et riches de détails aussi bien au niveau des scènes figuratives que de l’ornementation. Le fond est certes blanc, mais ce n’est pas pour autant que des espaces sont laissés libres de représentation. Dans les coins se déploient des ornementations végétales non naturalistes et on y trouve parfois de curieuses créatures, comme cet « ours ( ?) » assis sur un tabouret tenant un objet rond (en dessous de la Nativité).
La représentation des thèmes chrétiens traditionnels répond à une iconographie bien connue, avec des particularités stylistiques. Le Christ crucifié me paraît par exemple exceptionnel avec les gouttelettes de sang qui recouvrent la totalité de son corps souffrant (ill. 5).
On peut également être parfois impressionné par la modernité anachronique que peut revêtir à nos yeux le style de certaines figures. Je pense par exemple à la façon dont sont représentés les damnés et leurs persécuteurs dans la fresque du Jugement dernier datant de l’époque romane tardive (placée sur l’arc qui sépare la nef du chœur, voir photographie ci-dessous). Leurs traits me font penser à certaines figures de Picasso…
http://www.lifepilot.dk/lpilot/churchfresco/kelby-4780/kel4780hbh020.jpg (zoomer sur le coin inférieur gauche de la photographie).
Ceci n’est cependant pas si surprenant si l’on veut bien se rappeller que les artistes de l’avant-garde de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle furent souvent impressionnés et influencés par l’art médiéval. Au Danemark ce fut aussi le cas après les premières redécouvertes des fresques médiévales au milieu du 19ème siècle : toute une période, longtemps dévalorisée, de la tradition artistique revenait au centre de l’intérêt. Ainsi, lorsque Joakim Skovgaard fut chargé de la décoration de la cathédrale de Viborg (1899-1907 et 1913), il s’inspira directement des fresques médiévales qui ornaient les églises danoises et couvrit de peintures murales les murs et le plafond de la cathédrale.
Nous avons également vu dans un article précédent que Carl-Henning Pedersen s’était lui aussi inspiré des fresques médiévales pour ses propres fresques dans la cathédrale de Ribe. Encore aujourd’hui nombreux sont les artistes qui sont influencés par ce pan du patrimoine religieux danois.
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Références
-Site internet du musée national de Copenhague, dont l’un des départements est en charge de la restauration et de l’entretien des fresques :
http://kalkmaleriinfo.natmus.dk/index.html Le site est admirable car très complet, facile à naviguer et les photos sont nombreuses et de très bonne qualité. Il est malheureusement uniquement en danois.
-Niels M. Saxtorph, Jeg ser på kalkmalerier, Copenhague, Politikens forlag, 1970
-Niels Peter Stilling, Politikens bog om Danmarks kirker, Copenhague, Politikens håndbøger, 2000, les pages 370-372 sont consacrées à l’église de Keldby
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Notes
1. L’époque médiévale allant d’environ 1050 à 1550
2. Niels M. Saxtorph, Jeg ser på kalkmalerier, Copenhague, Politikens forlag, 1970, p. 18
3. Les périodisations sont celles du Musée national de Copenhague : http://kalkmaleriinfo.natmus.dk/index.html (dernière consultation : octobre 2009)
4. Niels M. Saxtorph, 1970, op. cit., p. 10
5. Ibid., p. 14
6. Selon le site du musée national de Copenhague, l’atelier du maître d’Elmelunde a également réalisé quelques fresques dans l’église d’Elmelunde, commune qui se trouve à quelques kilomètres de Keldby et dans d’autres églises des alentours : l’église de Nørre Alslev, l’église de Tingsted, l’église d’Aastrup. L’atelier du maître d’Elmelunde était actif d’environ 1500 à 1520
7. L’identification des scènes représentées provient du feuillet d’informations disponible dans l’église de Keldby
8. Selon Niels Peter Stilling, Politikens bog om Danmarks kirker, Copenhague, 2000, p. 371